mardi 15 janvier 2008

Afrique du sud: Le mandat social de Jacob Zuma

La devise de l’Afrique du sud pourrait être une formule mélodramatique : «A chaque jour suffit sa peine».
La presse est débordée par les informations plus importantes les unes que les autres quand elles ne sont pas plus absurdes ou plus monstrueuses que celles de la veille et bien moins que celles du lendemain. Depuis la nomination de Jacob Zuma à la présidence de l’ANC et jusqu’à l’annonce, mardi dernier, de sa candidature à la présidence de l’Etat pour succéder à Thabo Mbeiki, dont le mandat n’est plus renouvelable en 2009, il s’est passé un mois à peine. Un mois, durant lequel rien ou presque n’a été épargné aux citoyens du plus important et influent pays d’Afrique.
Les adolescents envisagent de défier le gouvernement de Prétoria en provoquant des « manifestations d’embrassades ». Ils protestent contre l’interdiction aux moins de seize ans de s’embrasser, se toucher, se « coller l’un à l’autre » en public décidée dans le cadre de la loi sur les offenses sexuelles. Derrière ce qui paraît anecdotique se profile le drame absolu qui touche le pays : L’Afrique du sud est littéralement infestée par le virus du SIDA. Le gouvernement tente d’imposer des politiques multiples… Sans succès.
Au mois de décembre 2007, 1142 personnes sont mortes sur les routes sud africaines. Dont 460 piétons. Le département des Transports annonçait avec satisfaction que le nombre de victimes avait baissé de 298 unités par rapport à l’an dernier. Selon le département, l’Afrique du sud a le plus haut niveau d’alcoolémie par buveur dans le monde.
La criminalité ne baisse pas. Le nombre de viols augmente.
Le pays profond ne voit pas le pays de l’arc en ciel s’épanouir. Ou trop lentement. Le syndicat COSATU indique qu’en 2007, la pauvreté et l’inégalité des chances restent les problèmes principaux. La création d’emploi est insuffisante. L’objectif de réduire de moitié le chômage et la pauvreté en 2014 ne serait plus réaliste. Les hausses de salaires obtenues dans différents secteurs dont le service public sont annihilées par la hausse du coût de la vie… La nomination de Jacob Zuma n’est pas due au hasard. Les militants de l’ANC veulent des solutions sociales immédiates : une accélération des programmes de construction de logements, d’accès à l’électricité, une politique contre la criminalité. Le nouveau comité exécutif de l’ANC réunit désormais des hommes fermement ancrés à gauche, dont le secrétaire général et le président du parti communiste. Ils ont clairement reçus mandat de promouvoir une politique sociale offensive. Ils ont aussi la responsabilité d’allier ce mandat à l’économie de marché.

Il y eut, le 28 décembre, l’inculpation de Jacob Zuma pour…racket, corruption, blanchiment de devises et fraudes dans un dossier de ventes d’armes. La confiance de ses amis n’en fut pas ébranlée : le syndicat COSATU, le parti communiste, la Ligue des Jeunes de l’ANC, font corps et dénoncent les manipulations « revanchardes » du Président Mbeiki, qui lui-même ne serait pas à l’abri d’une enquête dans le même dossier. Il n’est pratiquement pas de dossier politique qui ne soit judiciaire.
La démocratie sud africaine, qui célèbre son treizième anniversaire, a tout d’une adolescente un peu difficile. Mais une adolescente qui apprend vite : la démocratie fonctionne, même s’il n’est pas faux d’affirmer que le personnel politique est toujours en formation.
Contrairement à l’encadrement économique du pays, qui, peu ou prou, est resté entre les mains expertes des entrepreneurs libéraux blancs alliés à de jeunes financiers noirs issus des meilleures écoles, les militants anti apartheid ont pris leurs responsabilités dans le sillage de Nelson Mandela, au pied levé. Jacob Zuma est un zoulou autodidacte qui séduit par son bon sens populaire. Face à Thabo Mbeiki, intellectuel rigide et froid, dont le bilan social est contesté et sans doute contestable, l’homme du peuple a concentré les suffrages et les espoirs des militants. Mais tout est compliqué. Mardi soir, le chef de la brigade spéciale d’enquête, les Scorpions, Gerrie Nel était arrêté soupçonné de corruption. Curieusement, il avait mené une enquête tendant à démontrer les relations du chef de la police nationale, Jackie Selebi, avec un réseau de trafiquants de drogue. Le président Mbeiki s’est personnellement intéressé à ce dossier et les pressions se sont multipliées pour tenter d’empêcher l’inculpation de Jackie Selebi qui est actuellement… le numéro 1 d’Interpol.
Il reste un long chemin sinueux à parcourir pour que Jacob Zuma puisse tenir ses engagements pour le bien du peuple.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, janvier 2008

Suisse: Un PSS de gauche, c’est possible

Si Christian Levrat ne se dédit pas, s’il évite le piège d’une quelconque alliance, utile ou nécessaire, avec le social-libéralisme dont se réclament, plus ou moins explicitement, certains de ses amis politiques,
il pourrait bien être le… chaînon manquant, modernisateur, entre la sociale démocratie et le socialisme en Suisse.
Il est de cette gauche réelle, capable de prendre rendez-vous avec l’Histoire. Candidat à la présidence nationale du Parti socialiste, il lui faudra trouver les forces pour affirmer et imposer son combat pour plus de justice sociale dans un parti parfois trop confortablement installé dans le consensus national. Et même si, au lendemain d’une défaite électorale historique, les socialistes réclament le renforcement du parti national, il est raisonnable de considérer que l’ « axe progressiste » ne fera pas l’unanimité, loin s’en faut. Le cantonalisme et le localisme risquent de peser lourds pour empêcher ce fameux « retour aux sources », à la classe ouvrière, au monde du travail, aux salariés, prôné par Levrat et d’autres dirigeants romands. Il est presque regrettable qu’il soit le seul candidat à la présidence. Cela prive le monde politique d’une évaluation réelle de l’impact idéologique au sein du PS.
Le Conseiller national fribourgeois et dirigeant syndical se veut « carré »: « le PS doit être fidèle à ses valeurs, explique-t-il à Gauchebdo ». Et de cibler le message: Nous sommes proches du PST/POP et des autres partis de la gauche sur l’essentiel : la répartition capital-travail et la qualité du filet social. Si je suis élu à la présidence du parti socialiste, cette unité de vue améliorera nos relations avec la gauche de la gauche. Nos divergences ne sont que doctrinales. » Il est favorable à l’idée d’un salaire minimum national : « il faut surtout éviter de décrédibiliser l’idée. Evitons de nous précipiter. Consolidons le dossier. Voyons ce qui se passe dans les cantons…. ». Prudent le prochain « patron » du PS ? Surtout attentif à ne pas se brûler les ailes avant de les avoir déployées. Mais le syndicaliste qu’il est encore s’engage : « La syndicalisation des salariés est un thème prioritaire. Mais le patronat doit prendre conscience de la situation et prendre ses responsabilités. Dans certains secteurs, on touche aux limites du système. Dans l’industrie des technologies nouvelles, par exemple, il n’y a même pas d’organisation patronale avec laquelle négocier. » Et sur le thème d’un front commun entre le monde syndical et le monde politique pour maintenir les acquis sociaux, l’homme aux deux casquettes est un peu moins catégorique : « Faire front sur les questions sociétales, oui. Mais les rôles ne doivent pas être confondus. L’action syndicale doit être autonome pour être efficace. ».
Christian Levrat sait communiquer. C’est précisément ce que n’a pas su faire son organisation ces dernières années. Comme d’autres, les socialistes se sont laissés entraînés dans le sillage des stratégies de leurs adversaires. Avec pertes et fracas. C’est l’autre pari du politicien fribourgeois :
donner… envie de la gauche aux citoyens.
Le congrès du PSS aura lieu le 1 mars.
Ron Linder ; Gauchebdo, Suisse, janvier 2008

jeudi 13 décembre 2007

Suisse: attention au loup qui bêle

Les parlementaires suisses éjectent le populiste Christof Blocher du gouvernement confédéral. Il promet pis que pendre à ses adversaires... L'émoi et moi et moi, en quelque sorte...

Fait inhabituel dans la vie publique, les politiciens ont mis le feu au Palais Fédéral à Berne, à l'instar de n'importe quel club de supporters excités dans une arène de hockey sur glace. Ils ont politisé un débat!, martyrisé la désignation du toujours trop consensuel Conseil Fédéral. Le temple de la connivence, de la collégialité imposée, a vécu un petit encanaillement, orchestré par des démocrates chrétiens alliés pour la circonstance aux Verts et aux Socialistes: le tiroir-caisse de la communication politique, le ministre des droits du Suisse-qui-n'-aime-pas-les-autres, le patron et propriétaire d'un parti politique (comme d'autres sont propriétaires d'un yacht de luxe), n'a pas été reconduit dans ses fonctions ministérielles. Christof Blocher s'est fait jeter. Cerise sur le gâteau, sa non réélection fait du « cheni » dans le landerneau populiste. Les conseillers fédéraux de l'UDC ne sont plus de l'UDC. Ils ne sont de nulle part, mais que personne ne s'y trompe, ils restent accrochés à la pensée ultralibérale comme une moule à son rocher… D'autres suivront sans doute sur le chemin de l'exil pathétique : les mous, les démocrates du centre à l'ancienne opposés aux émotions fortes…
Christof Blocher a prévenu les élus et le bon peuple: ça va barder. Maintenant qu'il ne peut plus dire n'importe quoi au nom de la Suisse, il dira et fera n'importe quoi au nom de ses propres intérêts et de ceux de ses amis financiers et antisociaux.
«Je ne quitte pas le Conseil fédéral, pour faciliter la vie de mes adversaires» a dit la chef de bande. A la fin de sa courte intervention déjà revancharde, à la tribune du Parlement, même les radicaux-libéraux, qui ont raté le coche d'une « front démocratique uni », restèrent cois, laissant la claque aux seuls aficionados de l'ex ministre de la police. Quelques uns de ses sbires jouaient les gros bras devant les médias, promettant la vengeance de la rue. Comme des voyous.
Blocher n'est plus Blocher, mais Blocher ne le sait pas… encore. Rien n'a fondamentalement changé dans notre Suisse belle et riche, avec un habitant sur sept vivant dans la précarité, ou peu s'en faut. Sauf que, Blocher, dans l'opposition, va montrer son vrai visage pour reprendre ce qu'il estime être son dû: la direction du pays. Contre les intérêts des gens puisqu'au profit de quelques uns. Blocher, le loup, sortira de sa tanière en y oubliant les quelques belles manières conservées d'une vie antérieure. Il usera, et sans doute abusera, de la démocratie pour arriver à ses fins.
La gauche doit réapprendre à faire front. Ne pas se contenter d'un succès d'estime glané au centre. Les loups blessés sont plus dangereux. Aux progressistes de prendre la défense des « moutons » menacés. Même celle des «moutons» qui croient que le loup bêle.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Décembre 2007

vendredi 7 décembre 2007

Rendre Israël attentif à ce qui n'est plus acceptable

Nous aurions aimé célébrer Annapolis. Nous nous serions, comme tant d'autres, contentés d'applaudir à quelques décisions minimalistes mais essentielles: le gel réel et indiscutable de la colonisation, par des Israéliens religieux et d'extrême droite, de parcelles, plus ou moins grandes, du territoire palestinien; la réouverture, aux Palestiniens, du marché du travail israélien; la fin des restrictions israéliennes de livraison de gaz et d'électricité à Gaza, encore et toujours sous le joug du Hamas… Des événements, de portée limitée, mais plus vitaux les uns que les autres pour rendre viable l'ombre d'une ambition nationale palestinienne et la volonté d'intégration d'Israël au Proche Orient. Il y a soixante ans, Israël devint réalité et la Palestine resta un rêve. Les dirigeants palestiniens n'ont rien à offrir de « minimaliste » en échange de ce plan de survie: la reconnaissance d'Israël, la fin des actions militaires et terroristes, le voisinage pacifié étendu à tout le Moyen Orient, sont autant de contributions gigantesques qui nécessitent les petits pas élémentaires. Seul Israël est en mesure aujourd'hui d'avancer sur le chemin de la paix que ses dirigeants affirment ou prétendent désirer plus que tout. La Palestine survit le dos au mur…face à un mur. 300 millions de dollars viennent d'être réunis pour assurer la mission de l'Office des Secours et des Travaux pour les Réfugiés palestiniens pour 2008. Le 17 décembre prochain, le Club de Paris se réunira pour tenter d'organiser le financement des projets de développement de l'Autorité palestinienne. Il est hors de question d'accepter l'idée, terrible au XXIème siècle, de bâtir un état fantoche. La Palestine sera viable ou ne sera pas.
Les parrains du processus de paix d'Annapolis ou de la Feuille de route ou de toute autre initiative qui dépasse le cadre de la démagogie la plus idiote, doivent s'imposer…d'imposer aux Israéliens une politique à hauts risques pacificateurs.

Au prix de sacrifices considérables à terme, sans doute, mais le plus petit commun dénominateur parmi les nations n'indique-t-il pas que la Paix n'a pas de prix?
La communauté internationale dispose de tous les moyens de pressions économiques pour rendre Israël attentif à ce qui n'est plus acceptable. Ne pas les utiliser au service d'une solution qui libère les peuples de la région des sentiments de haine, de frustration, de peur, mais aussi d'arrogance, reste incompréhensible.
La sécurité d'Israël c'est la paix. La paix des Palestiniens c'est la sécurité. Et vice versa.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, décembre 2007

Russie: Ruspoutine plébiscité

Le Parti communiste est l’unique garant du fonctionnement
parlementaire russe.

Ne gâchons pas notre plaisir, et répétons cette phrase avec adresse : le Parti communiste est l’unique garant du fonctionnement parlementaire russe. Il est le seul des trois partis accédant à la Douma pour se partager les 135 sièges que n’a pas emportés « Russie Unie » (64,1% et 315 élus), lors des élections législatives de la semaine dernière, qui ait, un temps soit peu, la volonté de revendiquer une… gestion moins affairiste du pays. « Russie Juste » (7,8% et 38 élus), une succursale du parti présidentiel, officiellement de gauche, conçue pour affaiblir les communistes, n’a aucune intention de faire montre d’un quelconque esprit frondeur à l’égard du pouvoir. Quant au « parti démocrate-libéral » (8,2% et 40 élus), la boutique du fasciste, antisémite, xénophobe, raciste, ultralibéral Vladimir Jirinovski, ses velléités oppositionnelles se situent surtout en termes de surenchères ultranationalistes. Reste donc le parti communiste de la Fédération de Russie qui, avec 11,6% et 57 sièges, constituera effectivement la seule opposition parlementaire digne de ce nom.
Les autres partis réalisent des scores confidentiels ou presque. Ce sera dans la rue, et dans la mesure du possible, que les opposants à la politique de Vladimir Poutine devront faire valoir leurs arguments…

Nazarbaïev et Sarkozy dans le fan club
Officiellement, Le président Poutine fait la fine bouche. Il espérait un plébiscite à la hauteur de sa popularité, autour de 70%. Il n’espérait, par contre, vraisemblablement pas recevoir les congratulations des dirigeants démocrates occidentaux. Comme l’indiquait, dans une dépêche, même pas amusée, l’agence de presse Novosti : « les présidents kazhak et français Noursoultan Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy ont félicité, des bons résultats obtenus aux élections à la Douma, Vladimir Poutine… ». Les autres montrèrent moins d’empressement. Il est vrai que Nicolas Sarkozy aurait, dans une autre vie, fidèle à sa logique de Président-représentant de commerce, serré Raspoutine dans ses bras, par pragmatisme commercial. C’est donc un moindre mal, aujourd’hui, de féliciter « RusPoutine » dont la stratégie internationale dépend souvent des réalités boursières, du cours du baril de brut ou du gaz. Quant au président Nazarbaïev, ce sont sans doute les scores presque parfaits de « Russie Unie » en Tchétchénie et Ingouchie (plus de 98%) qui l’ont le plus ému.

Les observateurs internationaux estiment que les élections n’ont pas été exemplaires. Pas plus que la campagne d’ailleurs… Ce côté « vierge effarouchée » que se donnent les bonnes consciences occidentales étonne toujours. Personne n’ignore les « particularités » de la démocratie russe. Tous les experts s’entendent pour les expliquer, les comprendre, les condamner. Personne ne remet en question le statut de Vladimir Poutine, partenaire, fournisseur, client, chef d’Etat… camarade de jeu au sein du G8. « Vladimir Poutine dirige le Russie comme une grande compagnie ». C’est Alexandre Konolov, un politologue, président de l’Institut moscovite des évaluations stratégiques qui le dit. De là à envisager que les « petits actionnaires » de l’entreprise Russie, ont voté, le 2 décembre, pour renouveler le conseil d’administration…

Le «poutinisme» comme l’église et la vodka ?
Vladimir Poutine prépare autant son avenir personnel que celui du conglomérat qu’il dirige. Son problème n’est pas la politique. Son problème est le pouvoir. Le conserver nécessite de maintenir les « petits porteurs » dans un état de confiance tel qu’ils accepteraient à court terme des changements constitutionnels favorisant l’ «installation » du poutinisme parmi les « évidences » russes, aux côtés de l’Eglise orthodoxe, de la vodka, et d’un libéralisme sauvage qui laisse rêveur et fait rêver les citoyens. D’ailleurs, la constitution russe n’est pas hostile à un troisième mandat du président en exercice. C’est un troisième mandat consécutif qui pose problème. Il suffirait, constatent les analystes, de trouver un…intérimaire pour le scrutin du 2 mars prochain. « Qui tomberait rapidement malade, au point de se retirer des affaires et provoquer des élections anticipées, disent quelques mauvaises langues moscovites. ». C’est une solution pour assurer un long règne, un très long règne au Président. Dans l’état actuel des structures bureaucratiques et oligarchiques, il pourrait être président de la Douma, premier ministre, président de Gazprom, la méga entreprise énergétique. L’important étant que la Russie bouge à son rythme. En contrepartie, le gouvernement resterait peu attentif au développement de l’économie parallèle, celle de tous les jours, à la portée de « Monsieur Tout le Monde » qui échappe au système ou au fisc. Cette « autre économie » qui intéresse peu les géants de l’économie mondiale qui entourent l’ancien officier du KGB et ses amis technocrates. Les Russes ont confirmé l’essentiel le 2 décembre : ils veulent un pouvoir qui les rassure à l’intérieur et des dirigeants qui montrent les dents au nom d’une Russie belle et grande… Le civisme n’est pas encore une vertu indispensable… Chaque chose en son temps, sans doute.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Décembre 2007

jeudi 29 novembre 2007

La Russie en partis pris

«Quiconque ne regrette pas l’Union Soviétique n’a pas de cœur. Quiconque regrette l’Union Soviétique est un idiot». Le président russe Vladimir Poutine est philosophe à l’occasion. Il dit aussi : « la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique de l’Histoire ». Le président Poutine est Pragmatique en permanence. Anticommuniste proclamé (« les idées communistes sont un cafard idéologique »), l’ancien général du KGB, rend volontiers hommage, dans le désordre, à Staline, à ses victimes, au Tsar de toutes les Russies, à la puissance russe d’antan et à celle du futur, au capitalisme et à l’influence de l’Etat sur les affaires. Il ne se plie à aucune logique qui nous est familière, parce que la Russie qu’il gouverne, avec une efficacité telle que la popularité dont il jouit n’est même pas surprenante, ne répond à aucune norme démocratique occidentale.

Poutine craint la solitude à la Douma
Il n’est pas raisonnable de s’aventurer dans les méandres de la politique, des affaires, des luttes de clans russes sans un guide chevronné. Gauchebdo a demandé à Jean Marie Chauvier, journaliste, écrivain, collaborateur au Monde Diplomatique, ancien correspondant du quotidien communiste belge « Le drapeau Rouge » et de la RTBF à Moscou pendant de longues années, de défricher la réalité russe à la veille des élections législatives du 2 décembre et à l’avant-veille des élections présidentielles du 2 mars 2008. La seule question qui se pose avant les législatives, est déjà affolante : « le seul enjeu, le seul risque que pourrait courir le parti de Vladimir Poutine serait de se retrouver seul à la Douma, explique Jean Marie Chauvier. Que les autres partis n’obtiennent pas le quorum pour disposer d’élus c’est improbable, mais pas impossible. En principe le Parti communiste devrait entrer à la Douma. Pour les autres, c’est moins sûr. Les partis libéraux et de droite, dont on parle tant dans les médias occidentaux, ne pèsent pas lourds en réalité. Et pas seulement, parce qu’ils ne disposent pas de la communication et sont empêchés de défendre leurs vues sur les principales chaînes de télévision. Si le parti de Poutine, « Russie Unie » occupait toute la Douma, le Parlement russe, Poutine ferait face à un casse-tête : il n’a aucune intention de promouvoir un parti unique ni de ridiculiser la nouvelle démocratie russe. Respectueux de la Constitution, il n’a pas, ou pas encore, cherché à contourner la limite des deux mandats présidentiels. Donc il ne sera pas, en principe parce que nous parlons de la Russie, candidat à un troisième mandat en mars prochain. Ses préoccupations sont bien plus complexes, très pragmatiques. Néanmoins, « Russie unie » détiendra vraisemblablement plus de deux-tiers des sièges pour la prochaine législature. S’il le décide, Poutine sera premier ministre. Et quand il le voudra, il sera le seul vrai patron du pays. »

Kasparov financé par les Américains
On se demande d’ailleurs si la campagne n’est pas plus active vue de l’extérieur que de l’intérieur du pays. Après tout, les déboires du champion d’échec Kasparov, emprisonné pour cinq jours, ont surtout fait la « une » des médias occidentaux : « Kasparov et son parti un peu « fourre-tout » font de la provocation, faute de disposer d’autres moyens de communication. Autour de Kasparov, s’agglomèrent des libéraux, un parti national bolchévique, des militants d’extrême gauche. Cela inspire d’autant moins confiance aux Russes, surtout soucieux de stabilité, que « l’Autre Russie », comme d’autres forces politiques, est financée par des fondations américaines. Ce n’est même pas un secret de polichinelle, ces fondations, en toute transparence, indiquent ce « détail » sur leurs sites. Mais ce n’est pas l’accès limité ou inexistant aux médias qui handicape le plus ces partis, c’est leur histoire et la responsabilité de leurs dirigeants dans le crash financier de 1998. A l’époque, La tendance était à l’américanophilie et aux excès de l’oligarchie « eltsinienne ». Les Russes sont patriotes. Ils veulent des solutions à la russe, comme Vladimir Poutine les prônent. Ils préfèrent à un capitalisme sauvage, une société libérale dont les grandes structures industrielles et énergétiques restent sous la surveillance de l’Etat. Les néolibéraux russes s’étaient laissés tentés par une occidentalisation de l’économie.

Résistances associatives et locales
La situation est intenable pour ces petits partis qui doivent faire face au conglomérat de « Russie Unie », la machine politique de Poutine : l’Union des Forces de Droite, le parti Yabloko centriste, l’ « Autre Russie » de Kasparov, s’opposent à la politique gouvernementale en matière de logement (le projet d’élever le prix les loyers, du gaz, de l’électricité au prix du marché étranglerait une partie importante de la population), du fonctionnement de la démocratie... comme la Parti communiste. Ils tentent de s’impliquer dans les nombreux mouvements sociaux pour exister politiquement. Mais la résistance à Poutine se développe au sein de milliers de petites organisations et associations, dans les quartiers, les cités avec un leitmotiv : le refus des réformes libérales. »
Jean Marie Chauvier stigmatise la médiatisation par les Occidentaux des organisations marginales en Russie et le traitement à la fois hostile et limité de la complexité du « monde poutinien »: « La popularité de Poutine répond aux réalités du pays et de la population. Les Russes cherchent à se rassurer. Ils ont besoin d’un père en quelque sorte, ils veulent un « monarque » capable de refigurer dans des contextes nouveaux des traditions anciennes. Poutine leur propose des méthodes modernes et néoconservatrices à la fois. Il prône une voie et une voix russes sans copier celles des autres, une voie singulière, mais dans le cadre de la globalisation. Ce sont des propositions que les Russes ne veulent pas refuser. « Russie Unie », le parti de Poutine, se situe au centre-droit, en faveur d’un libéralisme économique et du capitalisme. C’est en quelque sorte un parti « protecteur » comme il est de tradition en Russie : l’administration aujourd’hui est plus lourde, plus énorme que du temps de l’Union soviétique. »

La renaissance de la puissance russe
Il existerait donc bien une voie russe vers le « libéralisme à responsabilités limitées ». Parce que Monsieur Poutine joue aussi les funambules entre les sphères d’influence, les clans qui forment sa « famille » : « « Russie Unie » est un conglomérat formé après 1999, explique encore le journaliste belge. Ce sont les oligarques qui ont choisi Poutine, Berezovski, l’homme d’Eltsine, (aujourd’hui réfugié en Angleterre) précisément. Autour de Poutine, le chef de guerre qui a mené le second conflit tchétchène, se retrouveront différentes personnalités, des partis, des élites. L’idée était de fonder un parti sans idéologie ni programme, mais avec un chef. Un parti russe. Un parti dominant pour longtemps. Un parti dont l’objectif affirmé est la renaissance de la puissance russe. Vladimir Poutine pèse du poids de ses ambitions pour le pays. Il a surfé sur la vague antilibérale des années 2000 pour atteindre son objectif : reprendre en main les secteurs énergétiques. Il s’est débarrassé des oligarques, ceux-là mêmes qui lui avaient mis le pied à l’étrier. D’une manière ou d’une autre – la Russie n’est pas à proprement parlé un état de droit – il a placé des hommes de confiance dans des structures à capitaux mixtes ou publics. Il favorise un capitalisme dirigé plutôt qu’un dirigisme économique. Les Russes approuvent : selon les sondages, ils disent massivement oui au marché, oui aux PME privées mais oui aussi… à la renationalisation des grandes industries. »

Poutine se méfie de ses amis
Rien ne s’oppose donc à ce que le « Président Poutine », même s’il se faisait désormais connaître sous le titre de « premier ministre Poutine » domine la situation et le pays : « Il jongle réellement entre différentes écoles. Par exemple, il existe un fonds de stabilisation économique issu des ressources pétrolières. Plus de 100 milliards de dollars. Le clan Poutine, ses proches venus de Saint Petersburg au Kremlin, souhaitent développer une politique industrielle publique avec la relance de la métallurgie, des industries de la défense, la promotion des nouvelles technologies, l’enseignement, la santé etc.… Au sein du gouvernement russe, le ministre des finances, Ivanov, promeut l’idée de maintenir ce fonds pour les lendemains qui déchantent. »
Là est le vrai combat politique de Poutine : maintenir l’équilibre entre ses amis. Jean Marie Chauvier explique aussi que les fonds russes en dehors de Russie s’élèvent à mille milliards de dollars, que l’équilibre géopolitique mondial se joue aux frontière de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques courtisées par les Américains, que se dessine une alliance entre la Russie, l’Inde et la Chine…
La Russie serait-elle en des mains rassurantes pour ses peuples… par défaut ? Il n’y aurait pas d’alternative… Et le monde n’a pas les moyens de se fâcher avec le maître du…Kremlin. C’est bien connu.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Suisse: A Genève, le mépris de gauche

Les fonctionnaires de la ville de Genève réclament leur du. Le conseil administratif (la mairie), majoritairement de gauche se laisse tirer l’oreille… Et les travailleurs de constater que le mépris n’est pas le triste privilège des patrons de droite.

Très courtois, le porte-parole de la camarade Salerno, la conseillère administrative socialiste chargée des finances à la ville de Genève. Courtois et efficace : « le Conseil administratif ne communique pas sur le problème posé par les fonctionnaires municipaux. Les négociations sont en cours. » Et d’ajouter : « on en parle tous les jours dans les médias, de cette affaire ».Oui mais non ! « On » en parle justement assez peu, dans les médias, des fonctionnaires municipaux genevois qui se demandent pourquoi quand « y a des sous, on reçoit rien de plus que quand y avait pas de sous ». Surtout, « on » ne les prend pas trop au sérieux. Ou pire, « on » les prend pour des fainéants privilégiés, des « je me la coule douce »… Les remarques acerbes, les phrases assassines pullulent pour dénoncer les agents du service public en général. C’est un sport dans un pays où, précisément, le service public fonctionne bien, au point d’intéresser le privé. Les projets d’externalisation de certains services que l’on prête au conseiller administratif radical Pierre Maudet, n’auraient pas de sens s’ils ne répondaient pas à une logique marchande. La confusion, installée entre la contestation de la qualité du travail des fonctionnaires et la logique libérale qui veut moins d’Etat au profit des entrepreneurs, fait son bonhomme de chemin. Il est plus facile, plus… communicant d’affirmer que le secteur privé coûte moins cher à la communauté, que le service public. Les fonctionnaires, par leur statut, seraient moins productifs. Haro donc sur les travailleurs du service public. L’argument connaît un succès retentissant. Il est erroné : le service public relève d’une logique incontournable: la communauté jouit d’une autonomie d’action, d’une indépendance parce que, précisément, les fonctionnaires ne dépendent pas d’une logique exclusivement financière. Aucune étude scientifique ne démontre qu’ils travaillent plus mal que d’autres, que leurs avantages sociaux ou leurs revenus ne coïncident pas, peu ou prou, avec ceux des autres salariés du pays. Comme par hasard, les services sociaux fatalement déficitaires n’intéressent pas les entrepreneurs. La récolte des amendes de circulation, oui.

Les fonctionnaires municipaux genevois rencontrés, n’en veulent pas à Pierre Maudet d’être lui-même : un adepte de l’économie de marché, un libéral pur sucre. Ils se montrent plus circonspects à l’égard des autres élus, des autres patrons de la ville de Genève : le vert Mugny, les socialistes Tornare et Salerno. Et même l’élu d’A Gauche Toute !, Remy Pagani. Pourtant ce dernier, fait ce qu’il peut. D’après certaines informations concordantes, il freine autant que possible, les pulsions purement gestionnaires des trois autres élus de gauche. Et le groupe municipal « A Gauche toute ! », menace de ne pas voter le budget si les revendications, jugées au minimum légitimes, des travailleurs ne sont pas rencontrées: ils réclament la reprise des mécanismes salariaux, la participation à l'assurance maladie et la redistribution d'une prime au personnel en rapport avec les comptes 2007. La ville de Genève réalise un excédent de plus de 47 millions de francs. Beaucoup plus selon certaine sources. Une manne… Rien pour les fonctionnaires qui depuis trois ans sont privés d’annuités statutaires parce que le budget était déficitaire. Pendant ce temps, au Locle, le budget modestement bénéficiaire profite aussi aux employés municipaux dont les revenus augmentent de 1%. C’est une question de culture politique sans doute, pas une question comptable. Au Locle, la gauche est de gauche. A Genève, la gauche est… de Genève.
Outre l’aspect purement financier, extrêmement important pour les bas salaires, la tension qui règne en ville de Genève est paraît-il palpable, selon la syndicaliste du SIT, Valérie Buchs : « il n’y a plus d’embauche et les prestations sont plus importantes. Les gens travaillent plus ». « Nous sommes exaspérés, explique un membre du « comité de grève » qui prépare l’arrêt de travail du 4 décembre. Salerno mène une politique antisociale. Nous ne demandons que le respect des statuts. N’importe qui, dans n’importe quelle profession, s’énerverait si une convention collective était bafouée. Sincèrement, nous ressentons du mépris de la part du Conseil administratif, et on ne peut pas s’empêcher de se dire que les patrons de gauche peuvent être pires que ceux de droite. Les pressions sur les travailleurs pour qu’ils ne débraient pas le 4 décembre sont nombreuses. Et ce n’est pas par hasard si je vous demande de ne pas citer mon nom ou ma fonction dans le journal. »… La colère des fonctionnaires, ce ne serait donc pas uniquement une histoire de sous…
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Europe: l’expérience suisse pour développer le PGE ?

Le deuxième congrès d Parti de la Gauche européenne s’est réuni à Prague ce dernier weekend de novembre. Des organisations des différents horizons de la gauche communisante, écologique et altermondialiste ont tenté d’asseoir les bases d’une structure commune pour une Europe progressiste et sociale. Le Parti suisse du Travail est partenaire de l’initiative.

Des ambitions concrètes, une appréciation réaliste des forces actuelles de la gauche de la gauche européenne, voilà ce que retient du congrès de Prague, le nouveau délégué suisse à l’exécutif du Parti de la Gauche européenne (PGE), Norberto Crivelli : « J’ai bon espoir de voir grandir un véritable parti continental, plutôt qu’un club de partis dont les délégués se rencontrent pour discuter de tout et de rien. Lothar Bisky (Die Linke, Allemagne), le nouveau président du PGE propose une dynamique d’ouverture très nécessaire pour harmoniser des organisations aux antagonismes historiques. Il y a des crises à surmonter. Les 19 partis membres et les nombreux partis observateurs ne sont pas tous des partis communistes monolithiques, traditionnels. Le Bloc portugais, par exemple, ou la Gauche Unie espagnole sont froidement antagonistes des partis communistes, le PCP et le PCE. Ils ne le cachent pas. Cette franchise, au sein du PGE, rassure pourtant certains candidats à l’adhésion. Un délégué du parti des communistes italien (PdCI) me disait apprécier cette fédération de partis et de sensibilités. Nous avons des adversaires communs, des luttes communes, des projets communs. Cela doit être suffisant pour bâtir, ensemble, un parti européen influent. Sans pour autant nier nos différences et nos divergences. Ce que nous devrons apprendre, c’est à les relativiser. Tout le monde s’entend pour affirmer une nouvelle vision de la gauche, une vison refondatrice.»
A entendre le dirigeant du parti communiste tessinois, le PGE ressemble au PST : « Nous avons effectivement une expérience à mettre à la disposition du parti européen. Nous ne sommes pas les seuls. Mais notre système de sections cantonales très autonomes, des sensibilités politiques complémentaires ou, parfois, divergentes au sein d’une même organisation coïncide assez justement avec cette grande structure européenne qui se développe à la gauche du parti socialiste avec des communistes, des écologistes, mais aussi des socialistes de gauche ou des éléments très radicaux. Nous vivons cette réalité, au PST, depuis la création de notre parti, en 1944. Nous pourrions aussi apporter notre vécu et notre savoir pratique dans le domaine plus général du développement de la démocratie participative que revendique le PGE, au sein de l’Union européenne, qui se prononce dans l’immédiat pour des referendums sur l’avenir du projet européen. La situation du PST est évidement un peu particulière, au sein du PGE. Nous en sommes membres à part entière, totalement intégrés à la structure sans que notre pays ne soit membre de L’Union européenne. Dans bien des domaines spécifiques, la législation de l’Union par exemple, notre contribution est plus que limitée, mais d’un autre côté, nous jouissons d’une liberté d’appréciation de ce que nous entendons, ce qui peut être utile à nos camarades. Quoi qu’il en soit, l’avenir dira si nous sommes entendus, nous les représentants d’un petit parti, d’un petit pays. Mais encore une fois, j’ai confiance : nous sommes parmi les nôtres pour lutter pour le droit syndical, l’environnement, pour le monde agricole, pour une Europe des citoyens. »
Propos recueillis par Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

jeudi 22 novembre 2007

Suisse-Europe : l’Internationale "brun clair" existe…

Il nous est parfois fait grief, même chez nos amis politiques, de dénoncer le fascisme de l’UDC. Certains puristes de la science politique s’inquiètent de la banalisation du terme, d’autres, pragmatiques, estiment que le parti blochérien, aussi insupportable puisse-t-il être, ne s’inscrit pas dans la ligne de Mussolini, Franco, Salazar ou des ligues françaises de l’entre-deux guerres, par exemple. Tout au plus, reprocheraient-ils à l’UDC d’avoir accordé l’asile à quelques anciens militants nazillons, un adepte de la secte Moon en rédemption, quelques racistes déclarés, deux ou trois négationnistes de la Shoah… Mais ils persistent à considérer qu’un parti qui admet les principes et les règles de la démocratie n’est pas un parti fasciste. Ne prenons pas acte de cette dernière affirmation sans rappeler que la démocratie fut toujours, à un moment ou l’autre de l’Histoire, l’otage, puis la victime du fascisme, précisément.

La Société du Mont Pélerin
Le débat existe en fait. Considérer l’UDC comme fasciste est facile et pratique, mais pas efficace. Plus prosaïquement, ce n’est pas dans le passé nauséabond qu’il convient de chercher son « fonds » idéologique. L’UDC répond aux critères modernes de l’ultralibéralisme. Elle est en Suisse l’avant-garde du mouvement pour la déstructuration sociale. Elle se nourrit des réflexions et des travaux des penseurs les plus réactionnaires, souvent les plus brillants aussi, qui cogitent, entre autres think tanks et fondations, au sein de la Société du Mont Pèlerin, près de Montreux. Ce rassemblement d’experts de haut niveau (huit prix Nobel d’économie y ont adhérés) défend pour l’essentiel une vision libérale radicale. Ses membres envisagent le danger du « plus d’Etat », de « Etat-Providence », du « pouvoir des syndicats »… des « entreprises monopolistiques » et « la menace de l’inflation ».

Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la Bourse
Cela nous éloigne évidemment de Zottel, la chèvre- peluche « made in China », propagandiste en chef de la campagne blochérienne contre les immigrés, pour une Suisse aux Suisse, contre l’Etat social et responsable de ses citoyens les plus fragiles, pour une sécurisation de la société…
Peut-être moins qu’il n’y paraît. Christophe Blocher et ses idées… « révolutionnaires » séduisent les électeurs autour d’un thème central, pratiquement un non-dit : « citoyen, occupes-toi de toi-même, protège tes intérêts, ton terroir. Tu es ton propre avenir ». En d’autres termes, « ne laisse pas la communauté se soucier de toi ». Le message des grosses têtes pensantes de l’économie libérale ne dit rien d’autre. Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la bourse et à l’entrepreneur. Au capitalisme pur et dur.

Des dirigeants « propres sur eux »
Et l’UDC n’est qu’un bataillon parmi d’autres en Europe. L’extrême droite en Flandre, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, en Autriche, s’est transformée en des partis habiles dont les dirigeants sont « propres sur eux », symboles de réussites sociales personnelles, étrangers, autant que possible, aux événements funestes de l’Histoire du XXème siècle. La droite dure, on dit déjà moins « l’extrême droite » et pratiquement plus « les fascistes », est totalement décomplexée face à une gauche sans ressort. Sa mission, qu’elle mène à bien, consiste à entraîner les autres forces libérales vers un projet sociétal totalement individualisé. Et privatisé. Dans ces petits pays riches, le citoyen peut à la fois s’affirmer dans sa spécificité locale et admettre l’évidence de la mondialisation économique. Les économistes et les politologues de droite qui ont pensé à ce détail sont des génies.

Pas fasciste. Mais…
Dans ces pays où la droite dure est potentiellement ou pratiquement
un partenaire acceptable pour les autres forces politiques, la pensée
ultralibérale et réactionnaire fait son chemin. Elle devient
incontournable.
En France, un pays important où la stratégie des « petits et riches » ne fonctionne pas, Nicolas Sarkozy a embrassé quelques idées maîtresses de Jean Marie Le Pen. En Flandre, les partis catholiques et libéraux ont été élus sur un programme populiste et conservateur. Les Danois retrouveront l’extrême droite au gouvernement. La politique batave en matière d’immigration renie des siècles d’ouverture…
L’internationale « brun clair » existe. Elle n’est donc pas fasciste. Mais il sera difficile de ne pas lui trouver des « marques de fabrique » dont les Européens se seraient bien passés : populiste, xénophobe, raciste, antisociale, autoritariste, chauvine, nationaliste, régionaliste, ultralibérale…
Craignons le pire avec ces partis qui ne sont pas fascistes.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Belgique : vers un gouvernement antisocial ?

Près de six mois sans gouvernement, la Belgique se découvre patiente et inquiète de son sort. La querelle linguistique prend des allures d'alibi: à quelle prix, le pays implosera-t-il ou non?

Le baobab linguistique cache une forêt socioéconomique, dont certains voudraient séparer les bois précieux des arbres appauvris par les maladies, tombant sous les coups de boutoir et les scies électriques de l’ultralibéralisme ou pourrissant sur pieds. L’histoire belge, dont on raconte les épisodes au fil du temps et des vaines négociations pour la formation d’un gouvernement, est sans doute une démonstration marquante de cette Europe qui se construit au nom de l’efficacité économique, l’Europe libérale, désormais souvent badigeonnée aux couleurs du chauvinisme et des nationalismes. La solidarité entre les peuples, les régions, les pays, dont l’Europe unie se fait la championne, n’est qu’un leurre : les discours conservateurs, populistes, autonomistes s’imposent partout ou presque sur le continent. Les revendications flamandes ne contredisent pas l’idée d’une Europe libérale ni le message qui confond solidarité et assistance.

la Flandre décisionnaire
A l’analyse, les coups de force flamands en matière linguistique, à la fois symboliques et virulents respectent la légalité : en refusant de nommer trois bourgmestres (maires) francophones des communes bilingues en régions flamande, en tentant d’imposer à 120.000 citoyens francophones l’obligation de ne voter que pour des candidats inscrits sur des listes flamandes, les élus néerlandophones bousculent quelques droits élémentaires des citoyens, mais font ce qu’ils ont promis à leurs électeurs : rendre la Flandre plus forte, plus décisionnaire. Quand les parlementaires flamands votent une résolution en faveur de la scission électorale et judiciaire entre Bruxelles et 35 communes flamandes de sa périphérie, ils tiennent parole.
Et la Flandre apprécie. Selon un récent sondage paru dans le quotidien De Standaard, les conservateurs sociaux-chrétiens et libéraux seraient confortés dans leur politique offensive au détriment…du Vlaams Belang, le parti fasciste, exclu des négociations, qui perdrait des voix au profit d’un ultra libéral, ancienne vedette du judo belge, Jean Marie De Decker. La gauche flamande, elle, serait en déroute. Les Flamands ne semblent pas applaudir à l’idée de « moins de Belgique » mais 70% des sondés souhaitent une Flandre plus autonome. Le fédéralisme belge a un prix qu’ils ne veulent, semble-t-il, plus assumer.

"Bruxelles sera leur Jérusalem"
Le transfert entre la Flandre, riche, et la Wallonie, appauvrie, s’élèverait à 10 milliards d’Euros par an. Les déséquilibres s‘inscrivent dans les domaines sociaux, fiscaux et de l’emploi. La fédéralisation de la Sécurité sociale sonnerait plus assurément le glas de la Belgique unie que n’importe quelle querelle linguistique. Le pays imploserait s’il perdait sa structure sociale. Tout le monde en est conscient, mais rien n’indique que les politiciens flamands ne courront pas ce risque. Les six mois de crise gouvernementale ont, en quelque sorte, préparé les Belges au pire.
Reste que les Flamands n’envisagent pas leur avenir sans Bruxelles, le poumon économique et stratégique du pays. Bruxelles et ses 85% de francophones. Le constitutionnaliste fédéraliste liégeois François Perrin, estimait, en des termes un peu messianiques, dans le quotidien « le Soir » qu’en aucun cas, les Flamands ne feraient l’impasse de la capitale de l’Europe : « Bruxelles sera leur Jérusalem. Les Flamands sont des pragmatiques astucieux, qui grappillent le maximum. Et des obsessionnels qui veulent Bruxelles comme capitale de la Flandre. Et sans jamais consulter la population, surtout ! Ils ont la volonté consciente de nier l’évidence francophone de Bruxelles. Pour eux, une enclave située dans le territoire flamand appartient de facto à la Flandre. Passionnelle, la question de Bruxelles ne peut être abordée par la raison. C’est leur grand rêve mythique ! »
Au pragmatisme de leurs voisins, les Francophones répondent par les envolées lyriques ou un humour décalé. Pas par des arguments scientifiques, et très peu par un projet politique structuré. Parmi les blagues qui circulent en Wallonie, il en est une qui situe assez justement, et sans élégance, l’estime que se portent les communautés :
Un jeune Flamand va se marier, alors son père lui fait la leçon :" N'oublie jamais que tu es Flamand, alors pour rentrer dans l'église, tu passes le premier, à 5 mètres devant tout le monde, car le Flamand est fier !Après la cérémonie et le repas, tu prends ta fiancée dans tes bras et tu la portes majestueusement jusqu'au lit nuptial, car le Flamand est fort ! Ensuite tu te mets tout nu et tu te places devant ta femme, car le Flamand est beau ! Et pour le reste, tu fais ce que tu as à faire... "Le lendemain du mariage, le jeune flamand fait le récit à son père:"Comme tu l'as dit, Père, je suis rentré le premier dans l'église, car le Flamand est fier ! J'ai porté ma femme jusqu'à la couche nuptiale, car le Flamand est fort!Je me suis mis tout nu devant elle, car le Flamand est beau !""Et ensuite "? demande le père."He bien, je me suis masturbé, car le Flamand est indépendant."

un libéralisme...unitaire?
Le Wallon fait de l’humour. Mais il est fauché. Et apparemment il ne peut pas trop compter sur ses politiciens pour résoudre la crise. Ce ne sont pas les manifestations bon enfant, les pétitions unitaires qui changeront les données du problème. Les Flamands, très majoritairement conservateurs, ont les atouts en main et ils jouent pour gagner. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ce soit du côté de Liège, l’ancienne capitale de la métallurgie wallonne, qu’ils trouvent l’allié dont ils ont besoin pour dédramatiser la situation et « normaliser » le débat. L’allié pourrait s’appeler Didier Reynders, le chef de file des libéraux. Ce brillant économiste, ministre des finances dans l’actuel gouvernement, envisagerait sérieusement l'idée d'une réforme de l'Etat qui pourrait comprendre des avancées pour les régions en matière d'emploi et de fiscalité. C’est exactement ce que les dirigeants flamands exigent, des avancées qui réduiront la solidarité fédérale. La « coalition de l’orange bleue » qui réunirait principalement les libéraux et les démocrates chrétiens, s’entendrait sur les options conservatrices de gouvernement. De quoi inquiéter la gauche en détresse et impuissante: le Parti communiste, par exemple, soutient une initiative lancée par des syndicalistes affirmant refuser que le « principe de solidarité soit remplacé par la concurrence et l’égoïsme… ». Face à l’agressivité et l’esprit de décision des partis flamands, cette bonne volonté ne fait guère le poids. Il est vrai que la hargne politique d’Yves Leterme, le possible futur premier ministre, repose sur 800.000 voix de préférence aux dernières élections.
Si rien ne change, le conflit linguistique belge ressemblera de plus en plus à la fable de la Fontaine du « pot de terre contre le pot de fer ». La morale de la fable n’était guère rassurante. Le pot de terre vola en éclat.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

jeudi 15 novembre 2007

Rappel: l’Etat de Palestine attend son tour…

George W. Bush réunit le 26 novembre, à Annapolis, près de Washington, les dirigeants israéliens, palestiniens et peut-être syriens pour tenter d’imposer la « pax americana » dont il rêve.
Il en parle généreusement, le président Bush, de cet Etat palestinien qu’il appelle désormais de ses vœux. Il en parle même presqu’au présent, puisqu’il espère contribuer à sa création avant la fin de son mandat, dans un an. La rencontre d’Annapolis inaugure cette dernière phase de l’agenda moyen oriental présidentiel dont l’Histoire ne retiendra que les choix dramatiques, les politiques belliqueuses, les stratégies aventuristes et les tentations arrogantes et guerrières. A moins qu’un semblant de solution dans l’emblématique conflit israélo-arabe ne lui sauve la mise et ne relativise injustement les drames irakiens ou afghans et la déstabilisation générale de toute une région de la Méditerranée au Pakistan.
« Cette occasion historique ne doit pas devenir un échec historique » prévenait en début de semaine à Ankara, le président israélien Shimon Peres ; le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, également présent dans la capitale turque, saluait : « une occasion exceptionnelle qui doit être saisie ». L’ambition de bien faire est affirmée. Elle l’était déjà, il y a sept ans, à Camp David, quand Yasser Arafat rencontra Ehud Barak, sous la houlette de Bill Clinton, pour constater que l’avenir d’une Palestine viable ne répondait pas aux critères militaro-sécuritaires israéliens. Et, sans douter de sa ténacité, force est de reconnaître que Mahmoud Abbas n’est pas de la même trempe que son prédécesseur, dont les Palestiniens célèbrent le troisième anniversaire de la mort.
Entre Camp David et Annapolis, le Hamas aura pris le contrôle de Gaza, le Fatah aura perdu sa majorité politique au profit des islamistes, l’Autorité Palestinienne affaiblie par la déstructuration de son administration, par la corruption, par l’étranglement économique et les actions militaires israéliens, se sera maintenue presqu’artificiellement. Dans l’ombre de la mémoire d’Arafat, en attendant des jours meilleurs. Bousculé par les intégristes religieux et l’extrême droite, le gouvernement israélien est dirigé par l’homme le plus impopulaire du pays, soupçonné de tous les maux, même par la justice. L’aventure militaire au Liban en 2006 a démontré son incompétence, l’armée doute de ses politiques et les politiques doutent désormais de leurs généraux.
Les hommes qui se rencontreront pour envisager la création d’un état palestinien sont faibles, prêts, on peut le craindre, à négocier, le dos au mur, pourvu que personne ne s’en retourne bredouille.
Cela explique sans doute les nouvelles exigences qui voient le jour à la veille de la conférence. Ehud Olmert veut que tout futur Etat palestinien « reconnaisse Israël comme l’Etat des juifs ». Il ne s’agirait donc pas de la reconnaissance d’un état par un autre. Cette revendication ethnico-religieuse, qui défie les lois et le fondement des relations internationales, pose très concrètement le problème essentiel du droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948 et 1967, pierre d’achoppement de toute négociation entre les deux parties. Un dirigeant de l’OLP, Yasser Abed Rabbo s’essayait à l’humour pour réagir: « seul un parti sioniste considère Israël comme un état juif et nous ne demandons pas à être un membre du mouvement sioniste mondial ». Les Israéliens tentent d’imposer leur règle aux Palestiniens : « mon prix sera le tien ». Le Parlement israélien vient de passer, en première lecture, une loi prévoyant que les évolutions touchant le statut de Jérusalem nécessitent 80 voix de majorité au lieu de 61. En d’autres, termes, compte tenu du poids de la droite et des religieux, aucun règlement sur la redivision de Jérusalem en deux capitales n’est politiquement acceptable par la Knesset.
Les négociations préparatoires du sommet d’Annapolis sont dans l’impasse sur bien des points. Les Palestiniens sont condamnés à négocier où, quand et comment les Américains le souhaitent. En guise d’épée de Damoclès, la Syrie pourrait leur voler la vedette en trouvant un terrain d’entente avec les Israéliens pour le plus grand bonheur de Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat de George W.Bush. Les Israéliens ont très envie de négocier avec Damas. On parle déjà d’une conférence d’Annapolis II.
A Annopolis I, fin novembre, Les Palestiniens voudraient négocier un début de solution au problème des réfugiés palestiniens de 1948 et de 1967, un début de solution pour Jérusalem et sa redivision éventuelle et problématique, les frontières du futur Etat palestinien, et surtout la question de l’avenir des colonies juives dans les territoires occupés. « Ils voudraient », c’est un conditionnel. Leur réalisme et leur pragmatisme semblent insupportables aux champions de la « paix anti terroriste mondiale ».
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

mardi 30 octobre 2007

Russie: Octobre 1917, La révolution inachevée

Lénine était encore à Zurich au mois de mars 1917, au lendemain de l’abdication du Tsar Nicolas II, quand, dans quatre courriers, il exigeait de ses camarades la préparation active de la phase « prolétarienne » de la révolution. Les soviets, ces organes révolutionnaires qui pullulaient partout dans le pays, et qui se développaient souvent de façon anarchique, devaient prendre le pouvoir par la force et mettre fin à la guerre impérialiste avec l’Allemagne. Même au prix d’une guerre civile qu’il considérait comme inévitable dans tout processus révolutionnaire. Dans ses « Thèses d’Avril » rédigées dès son retour en Russie, il attaqua encore la légitimité de la république parlementaire et du processus démocratique. Exilé en Finlande, après les manifestations réprimées de juillet, il n’abandonna pas l’idée de la nécessité d’une prise de pouvoir par la force : "En proposant une paix immédiate et en donnant la terre aux paysans, les bolcheviks établiront un pouvoir que personne ne renversera, écrivait-il. Il serait vain d'attendre une majorité formelle en faveur des bolcheviks. Aucune révolution n'attend ça. L'Histoire ne nous pardonnera pas si nous ne prenons pas maintenant le pouvoir."
La vérité est bonne à dire. Lénine dut batailler ferme au sein du parti bolchévik pour imposer l’idée de la prise du pouvoir par la force. Et ce n’est vraisemblablement pas son prétendu goût du sang et de la castagne qui le poussait à espérer et prévoir une révolution par les armes. La Russie, en automne 1917 était exsangue : le gouvernement bourgeois, issu des révoltes de février et de la chute de la monarchie, était paralysé, persévérait dans la poursuite de la guerre désastreuse contre l’Allemagne au prix de 1.600.000 morts et 6.000.000 de blessés, maintenait les privilèges des gros propriétaires terriens au détriment des paysans, se montrait totalement incapable de faire fonctionner les corps de l’Etat, l’administration, la police, l’économie. L’armée, composée essentiellement de paysans allait de défaite en défaite : de juin à octobre 1917, près de deux millions de soldats désertèrent.
La société dut concevoir les conditions de son autonomie. Dès février 1917, les comités d’usine, de soldats, les soviets de quartiers, les milices ouvrières se multiplièrent et s’organisèrent tant bien que mal. Certains dirent que ce fut une « fête de liberté », d’autres constatèrent l’anarchie.
Les Bolcheviks craignaient l’anarchie. Depuis la création de leur parti en 1903, ils avaient opté pour une stratégie volontariste en rupture avec l’ordre existant. Lénine, dans les semaines qui précédèrent la prise du Palais d’Hiver, s’en tint à cette analyse. La révolution lui semblait la solution évidente. Mais il développa un point de vue nouveau : dans son essai "L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme". Il envisageait la révolution non dans le pays où le capitalisme était le plus fort, mais dans un État économiquement peu développé comme la Russie, à condition que le mouvement révolutionnaire y fût dirigé par une avant-garde disciplinée, prête à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu’à la dictature du prolétariat et la transformation de la guerre impérialiste en une guerre civile.
La Révolution d’Octobre eut lieu… en toute logique léniniste. Elle fut, compte tenu des événements géopolitiques, un moindre mal. Et, compte tenu, de la misère des travailleurs et paysans russes, l’objet d’un espoir raisonnable. La fin de la guerre avec l’Allemagne, la redistribution des terres, en attendant leur impopulaire collectivisation quelques années plus tard, la réorganisation de la société malgré la guerre civile, le soutien militaire des pays occidentaux aux armées blanches, l’isolement économique international, le cumul d’événements dramatiques et les situations complexes ou inextricables rendirent les objectifs des communistes difficiles à atteindre. Une bureaucratie lourde, héritière d’institutions tsaristes, développée au rang de classe sociale dominante puis de corps quasi autonome d'un pouvoir sans énergie , la nécessaire mais périlleuse et perverse sécurisation du pays, au prix de nombreuses libertés individuelles, la tentation nationaliste russe au détriment des républiques et peuples allophones de l’Union soviétique creusèrent le fossé empêchant les idées de la Révolution d’avancer.
Il n’en demeure pas moins que, dans toute l’Europe, cette révolution, dont l’importance est contestée par ceux qui, précisément, contestent le principe de la justice sociale vue « d’en bas », fut un des moteurs des luttes ouvrières, syndicales et politiques pour une société plus juste. Elle fut bien entendu imparfaite mais rendit indubitablement service à l’Humanité.
Mais surtout, et peut-être est-ce cela qui lui attire encore la haine des « bien –pensants », la Révolution d’Octobre est inachevée. Avec d’autres moyens, d’autres stratégies, une autre approche du bien public, du bien commun, les idées généreuses d’une révolution populaire peuvent encore servir les intérêts des femmes et des hommes soumis au pouvoir du capitalisme violent, barbare. A nous d’inventer les façons de la mener avec des valeurs nouvelles. Rien ne dit qu’il ne faudra pas, un jour ou l’autre, reprendre d’assaut un Palais d’Hiver, symbolique ou non, pour mettre fin à un pouvoir absolu imposé et inacceptable. Nous saurons alors choisir les meilleures armes de cette démocratie que nous concevons.
« Socialisme ou barbarie » disait Rosa Luxembourg. Socialisme devons-nous répondre encore et toujours !
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Espagne: No Passaran !

Ce numéro de Gauchebdo offre une place importante aux événements de l’Histoire. Comment penser l’après, ignorant l’avant ?
Le sens de l’Histoire tient lieu de lettre d’introduction à celles et ceux qui ne réduisent pas la planète et la vie de ses habitants à un monopoly réservé aux plus malins des boursicoteurs… en herbe puisque nous vivons une époque « écologique ».
Les parlementaires espagnols, pour envisager l’avenir, ont voulu assurer le passé. Ils ont adopté la loi sur la « mémoire historique », reconnaissant ou réhabilitant les victimes du franquisme. Cela n’allait sans doute pas de soi, puisque la loi a été adoptée au Cortès par 185 voix contre 137. Cette loi est très précise : elle vise à la « réparation morale » et au « rétablissement public de la mémoire des victimes des persécutions politiques, idéologiques ou religieuses durant la guerre civile et la dictature de Fransisco Franco ». Le parti écolo-communiste a veillé à ce que soit incluse dans le texte de loi, une condamnation officielle du régime franquiste, mais n’a pas obtenu l’annulation des jugements sommaires prononcés par les tribunaux militaires qui décidèrent de cinquante mille exécutions.
La droite espagnole dit pi que pendre de cette loi, qui rompt, selon elle, l’héritage qui a permis la transition démocratique du pays. Par contre la même droite est toute émue par la béatification, par le pape Benoît XVI, de 498 religieux exécutés par le camp républicain durant cette même guerre civile. 498 martyrs, précise le Vatican, mort pour leur foi et leur « amour du Christ ». Parce qu’il ne semble pas que les religieux proches de la République espagnole, assassinés par les fascistes de Franco, puissent avoir été victimes de mécréants. Ils ne devaient pas aimer Jésus, eux, puisqu’ils fricotaient avec les Rouges.
L’Ayatollah Benoît XVI ne rate pas une occasion pour faire valoir l’évidence : la politique du pire n’a pas de secret pour lui. Et en Espagne, son action bienfaitrice va droit au cœur de l’épiscopat local qui conteste la nouvelle loi scolaire votée au Cortès en septembre dernier, et précisément, le développement du cours d’ « Education à la citoyenneté ». Il s’agit en l’occurrence d’enseigner aux collégiens espagnols des notions sur le fonctionnement des institutions, l’égalité entre les sexes, la lutte contre les préjugés homophobes, raciaux ou religieux, la diversité culturelle, la globalisation, la consommation responsable et la sécurité routière…
Bref, tous en cœur, chantons : A bas la calotte…
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

Suisse: les médias et la gauche: Cherchez l’erreur !

Les journaux romands jouent la transparence... à gauche. La "rocade" entre l'élue vaudoise du POP, Marianne Huguenin et ce "vieux-cheval-toujours-sur-le-retour", Josef Zisyadis, battu de 800 voix aux élections fédérales, tient lieu de roman d'automne dans la presse.
Un parti marginalisé par les électeurs fait les choux gras de la presse bourgeoise. Cherchez l’erreur ! Le PST/POP n’est pas à proprement parlé, sorti vainqueur des dernières élections fédérales. La seule élue de la gauche de la gauche, Marianne H.… est devenue le seul élu de la gauche de la gauche, Josef Z.. Et la presse commerciale, souvent de qualité, y trouve à la fois à redire mais aussi matière à faire la leçon « aux communistes » ou à « l’extrême gauche ». Elle aurait tort de se gêner la « grande presse », puisque la corde pour pendre la gauche combative est souvent gracieusement fournie par les militants.
La « pipolisation », la médiatisation des personnes au détriment de leurs idées pose problème. Surtout quand, comme c’est le cas chez les progressistes, les idées ne manquent pas. Encore faut-il ne pas dire que cela pose problème et, en même temps, prendre le risque d’en « remettre une couche » en se faisant aimablement manipuler. La presse fantasme toujours un petit peu à l’idée de jouer un vilain tour « à l’ogre communiste ». Les « petits meurtres entre amis de gauche » lui conviennent. Il ne s’agit pas d’un débat d’idées mais de l’utilisation des positions ou des états d’âme de nos propres amis… avec un objectif évident : décrédibiliser la gauche. C ’est dans l’air du temps. Il faut s’y faire mais ne pas s’y habituer.
Gauchebdo, bien moins puissant que la presse bourgeoise, suggère le débat au lieu des petites phrases assassines des uns et des autres. Nos colonnes sont ouvertes aux opinions et aux idées.
RLr, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Suisse: Le choix de Marianne

J’aime bien Marianne Huguenin. Son militantisme, les batailles politiques et publiques qu’elle a menées à tous les niveaux de responsabilités locales ou nationales en ont fait un personnage crédible et, dans toute l’acception du terme, honorable. Sa réélection au Parlement, dans la grisaille des résultats décevants pour notre Gauche, m’avait fait plaisir. Sa décision, exprimée dans une lettre ouverte sur le site du POP vaudois, de céder - mais confier serait le mot juste - son siège à Josef Zisyadis, révèle que la militante, la syndique de Renans a pour principale qualité d’être un être humain soucieux de ses limites.
Camarades, c’est à vous que cet éditorial s’adresse, nous parlons du seul et unique siège à gauche du parti socialiste. Un siège de survie, le temps de repenser notre action et de retourner auprès des citoyens pour expliquer pourquoi ils doivent nous faire confiance. Il ne s’agit pas seulement d’y poser ses fesses pendant quatre ans, c’est un poste d’observation et de combat. Marianne a décidé de faire front depuis sa ville de Renans pour freiner ou arrêter l’avance de l’extrême droite. Honni soit qui mal y pense. Sa décision est décente même si ses amis et ses supporters sont déçus. Il est vrai que si son successeur avait été n’importe qui sauf Josef Zisyadis, personne n’y aurait trouvé trop à redire.
Josef Z. ne fait pas l’unanimité parmi les siens, il est autant honni qu’aimé des médias bourgeois, et sa façon de faire énerve. Sans doute parce que son omniprésence, depuis tant d’années, a lassé celles et ceux qui voudrait voir cette gauche qu’il représente morte et enterrée.
Le désamour entre Josef Zisyadis et Gauchebdo est notoire. Mais nous ne nous trompons pas de combat. S’il est bien un homme susceptible de rendre service à la gauche combative, c’est Josef Zisyadis à Berne. Sa personnalité, son expérience… se tendance à se battre seul, son sens du spectacle et sa sensibilité politique en font un «sniper» idéal, un tireur embusqué en territoire ennemi. Le pacifiste qu’il est ne nous pardonnera sans doute pas ces références guerrières, mais l’essentiel est que le siège de Marianne, notre siège, soit bien défendu.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

Suisse: A la recherche du P.S.ychologiquement correct

Affaibli électoralement, le Parti socialiste suisse voudrait penser plus à gauche, plus social, pour reconquérir la vox populi qui lui échappe et lorgner encore et toujours sur sa droite pour rester, autant que faire se peut, dans la foulée des partis gouvernementaux. Il affiche une schizophrénie politique qui se veut pragmatique. Et « pragmatique », c’est le surnom que se donne en Suisse ou ailleurs, tout social démocrate qui se respecte. S’ils se laissaient aller à une quelconque inadéquate immodestie, certains socialistes s’afficheraient comme « Pragmatiques Sociaux », PS. Sauf que leur pragmatisme, parce que l’idée de plaire à tout le monde et de ratisser large après la déconvenue du 21 octobre ne les quitte pas, risque de les rendre moins attentifs encore aux revendications populaires et aux batailles à venir pour le maintien des acquis sociaux. Le pragmatisme des socialistes, au lendemain de leur défaite, se résume à reconsidérer leur « public-cible » et à le reconquérir. En laissant peut-être les plus marginaux, les citoyens les moins « économiquement centristes » succomber sous les slogans xénophobes et d’exclusion de l’UDC. Parce que, outre, la puissance communicatrice de l’UDC, ses budgets astronomiques, ses thèmes de campagne populistes, désastreux, ignominieux mais efficaces, ce qu’il conviendrait de retenir du scrutin fédéral, c’est l’absence de projets et de propositions des socio-démocrates. Ni projet de société, ni proposition sociale, économique, sociétale ou culturelle qui puisse voir le jour à court ou moyen terme. Et ce n’est pas un hasard. Le PS est un parti individualiste. Ses candidats ont mené des campagnes personnelles. L’image plus sociale des candidats romands était sans doute plus adéquate que le caractère urbain et bourgeois des discours de leurs collègues alémaniques, mais ce n’est pas le Parti socialiste qui a mené une campagne plus ou moins à gauche.

Le PSS fait presque cavalier seul à gauche de l’échiquier politique du pays. Les Verts glissent vers la droite malgré quelques résistances internes. L’extrême gauche et le PST survivent difficilement. Les mouvements alternatifs et syndicaux sont trop faibles. Garant autoproclamé des valeurs sociales et laïques, le PSS entend participer au pouvoir. En même temps, il est le relais législatif social indispensable pour empêcher, ou tenter d’empêcher, la droite de se vendre totalement aux patrons.
A moins que la gauche de la gauche ne retrouve au plus vite une place digne de ce nom dans le débat politique, rien ne changera. Et beaucoup dépendra, à gauche, d’un parti socialiste ballotant au gré des personnalités plus que des idées fondamentales. Pourtant, le PSS devra concevoir, créer son propre avenir. Nulle part, en Europe il ne trouvera une situation hégémonique équivalente à la sienne. Partout, à la gauche de la social démocratie, le mouvement social, alternatif ou politique est plus actif et mieux représenté qu’en Suisse.
Le SPD allemand, tente de se réveiller d’une longue période de compromission, de… pragmatisme pourrait-on écrire. L’émergence du parti résolument progressiste, Die Linke, rappelle les socio démocrates allemands à une autre forme de réalisme en revenant aux notions élémentaires de « socialisme démocratique » et d’ « Etat social prévoyant ». En Italie, le nouveau Parti démocrate doit compter avec des centrales syndicales et des partis communistes actifs. Même en Grande Bretagne, en Espagne ou en France, en Grèce, au Portugal, la social démocratie a des comptes à rendre à la gauche politique, associative ou syndicale. Aux Pays-Bas, en Belgique, dans les pays nordiques, se sont les syndicats qui, le cas échéant, rappellent les socialistes à l’ordre.
Le PSS se retrouve dans une de ces configurations historiques : revenir collectivement à des valeurs et des messages essentiels pour une justice sociale évidente dans un pays riche. Ce sera le prix à payer pour cesser de perdre. Au lieu du mot pragmatique, les camarades du PSS devraient peut-être s’intéresser à nouveau au terme : « solidaire ». C’est un mot très concret aussi, et, bien compris, très efficace.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

Suisse: Révolution culturelle à la tessinoise ?

La section tessinoise du Parti Suisse du Travail a changé de nom sans demander l’avis des camarades des autres cantons. Il existe donc, désormais, un Parti communiste, section tessinoise du PST. Dans l’enthousiasme local et sous le regard désapprobateur mais résigné de la direction nationale du Parti.

Partout en Europe, les partis communistes réfléchissent à une évolution nominale sinon idéologique. Le PC Italien s’est scindé et sa majorité fait un curieux, et parfois douloureux, « coming out » social démocrate, emportant avec elle les bijoux de famille, tel que le quotidien historique du Parti, « l’Unita ». Deux partis, Rifondazione Comunista et le parti des Communistes italiens se partagent l’électorat ébranlé et réduit, ouvertement marxiste. Le PDS allemand, allié à d’autres forces de gauche non communiste au sein d’une nouvelle organisation, die Linke, tente de redynamiser la frange progressiste de la population tandis qu’un minuscule Parti communiste allemand réunit quelques adversaires de la fusion. Le PC espagnol anime la coalition « Gauche Unie » avec des écologistes et des mouvements associatifs...
Seul, souvent comme un bateau ivre, le PC Français sauvegarde son identité et conserve à la fois une image et une spécificité. Mais le quotidien communiste « l’Humanité », depuis longtemps, n’arbore plus le marteau et la faucille et les tentatives, très souvent malheureuses, d’alliances et de d’union de la gauche sont nombreuses. Presque partout donc, y compris dans les pays où les partis communistes n’ont pas ou plus joué un rôle prépondérant dans la vie politique, l’identité des communistes s’implique dans un projet progressiste, au nom de l’efficacité, quand ce n’est pas au nom de la vision prosaïque selon laquelle le marxisme, même revu et corrigé, mérite de survivre au poids de l’Histoire.

Pendant que les partis communistes se cherchent ou trouvent des portes de sortie plus ou moins honorables, la section tessinoise du PST redessine le mot communiste en guise de signature. Le poids de l’Histoire serait moins lourd que l’avenir possible du socialisme, disent en substance les Jeunes Progressistes, à l’origine de la démarche : « Pourquoi ne pas être ce que l’on prétend si souvent, un parti communiste, explique Leonardo Schmid, l’un des animateurs de la section tessinoise. Un parti qui puisse travailler en s’appuyant sur des théories claires et adaptées. Nous ne sommes ni des nostalgiques ni des conservateurs de gauche. Je comprends les doutes de ceux qui, par rapport à l’histoire du socialisme réel, ne se reconnaissent pas comme communistes. Nous savons ce qu’a été le socialisme réel, ses fautes, ses erreurs. Mais l’avenir ne repose pas sur le socialisme réel de l’Union Soviétique. Notre génération aspire à un communisme aguerri. Nous cherchons une voie pour arriver à une société nouvelle. Nous revendiquons une société différente. Dépasser le capitalisme n’est pas suffisant. »
Le changement de nom ne fut néanmoins pas unanimement apprécié. Norberto Crivelli, le dirigeant « historique » du Parti tessinois, mit ses camarades en garde contre toute forme de précipitation, rappelant l’importance et le caractère rassembleur du Parti du Travail.
Dans une contribution sévère au congrès extraordinaire, Norberto Crivelli fit appel au sens des réalités des Jeunes Progressistes, à la solidarité nécessaire au sein du PST, et à sa crainte d’assister à une tentative de scission d’un groupe de militants. Rien n’y fit, les délégués tessinois votèrent le changement à une forte majorité. « On en avait besoin, affirme Leonardo Schmid. Nous ne sommes pas le petit frère, un peu malade, du PS, comme l’écrivent certains responsables du parti. Nous ne voulons pas tirer le PS à gauche, ce n’est pas l’objectif. On a fait notre révolution culturelle. Nous voulons un parti qui crée son propre discours politique, qui conserve son identité et qui ne se laisse pas mener par le discours de la droite. Quant au nom, celui du Parti du Travail n’interpelle pas les gens dans le Tessin. Le mot « travail » pose problème. Nous sommes communistes. Disons-le. Je ne vois par ailleurs pas où est le problème pour le parti suisse. Nous restons tous militants du PST. Mais la vérité est que le Parti ne nous a pas apporté les réponses aux questions que nous posons. Les formations sont inexistantes. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Mais en attendant, des dizaines de jeunes militants nous ont rejoints. On ne va quand même pas attendre que la direction nationale s’aperçoive de notre existence. Nous sommes un petit parti, notre situation est très différente que dans les autres sections cantonales au passé plus glorieux. Dès que nous avons annoncé le changement de nom… il faut bien reconnaître que nous avons existé aux yeux des dirigeants de partout. Josef Zisyadis nous a envoyé un mail pour contester notre décision. D’autres aussi s’expriment. Ce pourrait être un point de départ intéressant pour le parti. Ce n’est pas un parti très uni. Un débat de fond lancé depuis le Tessin, ce serait nouveau. »
Un débat ? « absolument, dit Josef Zisyadis, le dirigeant vaudois. Ce changement de nom est un choix politique inadapté et dangereux qui remet en question le fondement du Parti du Travail. Nulle part dans nos statuts n’apparaît le mot communiste, précisément parce que trois sensibilités politiques en sont à l’origine. Qui plus est, ces statuts ont évolué et des termes comme « dictature du prolétariat » ou « centralisme démocratique » en ont été retirés. Je suis favorable à un débat national parce que d’importantes questions de notre Histoire doivent d’être traitées. »
A Genève, René Ecuyer, qualifie le choix tessinois « d’erreur ». « Changer de nom ne clarifie rien. On en revient à la fameuse phrase : « l’étiquette ne fait pas le contenu ». Cela me rappelle le cas du mouvement des jeunes du PST, la Jeunesse Libre qui se transforma en 1973 en Jeunesse communiste. Sans grand succès… » L’ancien Conseiller national Jean Spielmann semble moins concerné et moins alarmé: « ce n’est pas un handicap particulier pour le parti ».
La contribution de Norberto Crivelli exprimait des craintes de scission et interrogeait la finalité de la démarche des Jeunes Progressistes. Si Leonardo Schmid confirme la totale adhésion de la section au PST, il reste que la visite de militants tessinois aux communistes genevois, des formations au marxisme, à Genève, structurées par des formateurs proches du PTB, un parti communiste issu de la mouvance maoïste, des liens avec le Parti des Communistes italiens, adversaire de Rifondazione, ont de quoi laisser perplexe. « Le PST n’assure aucune formation. Aucune, rien, nada. Nous sommes deux à avoir assisté à des formations organisées par Chemarx, à Genève. Et oui, l’organisation du PTB nous semble une bonne base pour nous structurer. Nous sommes plus proches du PdCI que de Refondazione parce que nous croyons plus en la modernité du premier qu’au conservatisme du second. Au congrès du parti, j’ai dit qu’il fallait créer un nouveau parti communiste en Suisse, avec une organisation nouvelle. On ne peut pas me reprocher d’être logique. Il est tout aussi logique de chercher à se former. A défaut d’une formation de qualité du PST, nous allons là où ou nous trouvons la qualité. Que chacun prenne ses responsabilités dans ce domaine. »
« Surtout pas de vague, rétorque Nelly Buntschu, la présidente du PST. Nous prenons acte de la décision des Tessinois. Cela ne veut pas dire que nous l’apprécions. Mon leitmotiv, je ne m’en cache pas, c’est : pas de scission ! »
« Les Jeunes Progressistes ne sont pas marqués par la guerre froide, analyse Anoushka Weil, dirigeante du PST. Ils ne sont pas non plus liés à la tradition de notre parti. Ils nous offrent l’occasion d’un débat dont il ne faut en aucun cas faire l’impasse. Leur notion du communisme est différente. Ils ont ma sympathie, mais, leur décision n’est peut-être pas la meilleure des idées pour le moment.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

Suisse: La gauche condamnée à exister

Tout est dit sur la défaite électorale des gauches, la victoire de la droite musclée, le tassement des conservateurs de toutes obédiences.Les médias du monde découvrent une Suisse encline à se vautrer dans la fange réactionnaire. Les neiges éternelles des sommets alpins seraient plus grises que blanches. Pourtant, s’il est vrai que Blocher a fait fureur le 21 octobre, les Suisses n’ont été que fidèles à eux-mêmes : résolument conservateurs. 70 % des électeurs n’ont pas voté à gauche. Comme d’habitude. La «ratatinade» de la petite gauche, nommons-la ainsi le temps qu’elle se remette de ses émotions, n’est qu’un épiphénomène qui s’inscrit parfaitement dans l’espace politique européen. L’ennui est que la pensée et l’idéologie de l’extrême droite pénètrent les esprits plus profondément encore que les résultats électoraux ne le laissent supposer, dans toutes les couchesde la population. Il est prévisible, désormais, que le raisonnement politique ne repose plus sur la recherche d’un consensus social quelconque. La grille de lecture de la vie politique se lira de droite à l’extrême droite et l’ultra-libéralisme fera office de mètre étalon de la pensée. La Suisse sera le laboratoire européen de l’Etat-au-service-de-la-finance-et-des-entrepreneurs. Dans ce laboratoire, les citoyens seront les cobayes.
Les gauches ont joué les seconds couteaux. Concurrents, socialistes et Verts ont cherché à se rendre crédibles… vus de droite. Les écologistes étaient meilleurs dans cet exercice et les électeurs socialistes ont peu apprécié l’encanaillement de leurs politiciens. Dans les cantons francophones où elle influence encore un tant soit peu la vie publique, la gauche de la gauche n’a pas inventé le fil à couper le beurre. L’honorable prestation du POPsol à Neuchâtel n’efface pas les résultats médiocres à Genève et dans le canton deVaud, ni les difficultés relationnelles entre les formations progressistes. La gauche combative a trop tendance à jouer les DonQuichotte dans un monde où les moulins à vent sont les immeubles sécurisés des entreprises du Swiss Market Index. Elle est condamnée à rejeter les règles du jeu imposées, sans coup férir par la droite, à présenter son propre agenda, à imposer le terrain d’action. Les grèves des ouvriers du bâtiment démontrent que les travailleurs ne restent pas inertes devant l’arrogance patronale.
Pour exister, la gauche doit, au moins, ne pas être l’ombre d’elle-même.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Octobre 2007

Suisse: Les voix qui valent de l'or

Les milieux bancaires et financiers, ceux de l’industrie, de la construction, des PME, de la pharmacie, des assurances privées, les milieux agricoles et le patronat sortent renforcés du scrutin fédéral. Selon le Temps du 25 octobre, les lobbies patronaux vont connaître une législature facilitée par l’élection de nombreuxdéputés «amis» ou redevables. On se demande d’ailleurs s’il ne serait pas plus simple de présenter au suffrage des électeurs un parti des banques, un parti des patrons ou le parti de la construction… Cela donnerait une meilleure visibilité au parti des travailleurs. De nombreux élus occupent des fonctions dans les conseils d’administration de groupes financiers, d’institutions ou d’associations corporatistes. Certains, nettement moins nombreux, sont proches des organisations syndicales. Un travailleur vaudois pourrait avoir voté pour un élu représentant prioritairement les intérêts patronaux et une chômeuse bâloise aura accordé son suffrage à un champion des intérêts des assureurs privés. En connaissance de cause?
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, octobre 2007

samedi 20 octobre 2007

Suisse: Pour un programme commun minimum des gens de gauche

Mes divergences avec Josef Zisyadis (Z-blogue) sont nombreuses. Nous ne parlons pas toujours la même langue, lui, le dirigeant politique du PST le mieux élu depuis longtemps et moi, militant communiste genevois, membre permanent de la rédaction de Gauchebdo, journal dont il pense du mal.
A entendre le mot communisme, il sort son revolver (bien qu'il soit un adepte d'une Suisse sans armée et un pacifiste avéré) et moi mon drapeau rouge ( quoique je me félicite de l'existence d'une armée de conscrits et considère l'action armée comme une option extrême mais possible dans le combat pour plus de justice sociale). Il prône la création d'un grand petit parti à la gauche de la social démocratie pendant que j'imagine une force progressiste arrimée à un Parti du Travail communisant restructuré, refondé, réorganisé.
Mais l'hiver politique sera difficile et long en Suisse et partout ailleurs. Les convictions que je partage avec le chef du POP vaudois, contre le fascisme, pour la justice sociale, pour une société plus sereine et moins arrogante, constituent un "programme commun minimum", qui, s'il n'efface aucuns de nos désaccords ni nos conflits potentiels, impose le combat commun, l'alliance.
Il nous faudra bien du talent et une volonté politique avérée pour, dans les semaines à venir, au lendemain des élections et dans le flou qui caractérise le discours et l'action des partis de gauche dont le PST, ne pas faire semblant de rien, penser l'avenir, rebâtir une gauche combative sans être tentés par les règlements de compte primaires.
Je suis pour la refondation du Parti du Travail, pour son évolution vers un projet communiste moderne. Mais pas sans Zisyadis, Huguenin et tous ceux qui pensent autrement. Et s'il faut mettre de l'eau dans mon vin rouge pour contribuer à l'unité au sein du parti, j'en mettrai. De l'eau avec des bulles, de la minérale, pas de l'eau stagnante.

Le danger du fascisme n'est pas un leurre. Je fais partie de la génération des enfants du hasard, j'ai la mémoire...à vif . Je crois en la possibilité d'un monde meilleur, au bien commun plutôt qu'au bien individuel.
Le communisme d'avenir est une voie ambitieuse pour une société pacifiée. Tant pis pour ceux qui n'entendent par ce mot que le pire, alors qu'il n'a de sens que dans ce qu'il exprime de meilleur. Mes idées , et celles de mes camarades n'ont d'efficacité que dans la mesure où elles brisent le mur de l'indifférence de la population. Seuls nous ne sommes nulle part. Divisés, nous n'existont plus.