vendredi 4 mai 2007

Suisse: contre l’insécurité sociale et morale

Selon l’agenda de la droite et de l’extrême droite, la sécurité sera le thème crucial des prochaines élections fédérales, comme elle l’est d’ailleurs de tous les scrutins où elles dictent leur loi.
La sécurité, c’est l’apanage des citoyens. Des citoyens les plus fragiles comme on ne cesse de la répéter semaine après semaine dans ce journal. Alors, mettons les pendules à l’heure : la violence, c’est l’outil de travail des puissants. A Genève, tout au long de l’année, des huissiers opèrent des expulsions de familles désargentées dans les conditions d’autant plus effarantes qu’il est pratiquement impossible aujourd’hui de trouver un logement en location dans le canton.
N’est ce pas cela de la violence ?
Le travail précaire, surtout en Suisse romande, rend les gens dépendants d’officines de travail intérimaire sans aucune garantie du lendemain. N’est-ce pas cela de la violence ?
Les agents de sécurité et les forces de police municipales, auxquels on prétend imposer des missions qui requièrent une formation de plus en plus spécifique, seront bientôt sur le terrain sans être… armés de la connaissance adéquate.
N’est-ce pas cela la violence ?
Si la droite souhaitait vraiment assurer la sécurité " de ses concitoyens, elle penserait à l’essentiel et éviterait de dramatiser les fantasmes qui font son fond de commerce. L’insécurité est une réalité partout dans le monde, en Europe, en Suisse, dans n’importe quel village. Ce qui est violent, c’est exposer certaines catégories de personnes à la vindicte des " autres ". C’est rendre la solidarité improbable qui est irresponsable. L’Union syndicale suisse suggère, dans son Appel du 1er mai, que le respect soit à l’ordre du jour. Ce simple mot mériterait une campagne de signatures et un référendum : oui ou non pour le respect de l’autre ? Au vu des résultats des dernières votations un peu partout dans le pays, on serait en droit de craindre le résultat.
Raison de plus donc pour espérer un 1er mai contre l’insécurité sociale et morale pour toutes et tous, Suisses ou non.
Parce qu’après tout, les électeurs de la droite et de l’extrême droite viennent aussi du monde du travail, comme de n’importe quelle partie de la société. Nous sommes bel et bien concernés.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, mai 2007

Pologne:Maccarthisme et crétinisme d’Etat

Crypto fascisme : l’anticommunisme en guise de cache sexe

Aleksandra est cadre dans une entreprise américaine de travail intérimaire à Cracovie dans le sud de la Pologne. Comme nombre de ses compatriotes, la jeune femme, diplômée en Sciences politiques, islamologue, spécialiste de la Turquie, a pris un second travail d’appoint : elle est journaliste dans un quotidien provincial. Elle n’y traite pas de sujets stratégiques particuliers. Dernièrement, elle s’était attachée à décrire les talents d’un groupe de dentellières qui brodent des dessous féminins pour les plus belles boutiques ouest-européennes. " La dentelle est une tradition dans certains villages, explique la journaliste à temps partiel, mais plus personne ne veut de draps de lit brodés et même les robes de baptêmes ne rapportent plus de quoi nourrir les quelques dizaines de femmes qui perpétuent cet art raffiné. Quelques unes envisagèrent d’autres créneaux. Les dessous féminins sont les plus porteurs, et le top du top, c’est le string. Les dentellières revivent de leur savoir-faire. Et les curés des villages les soutiennent. La question s’était posée parce qu’elles sont toutes extrêmement croyantes et respectueuses de l’Eglise catholique." Aleksandra n’est pas de gauche, elle vote pour les libéraux. Catholique pratiquante, elle est aussi européenne…pratiquante tant elle croit en une Pologne vivifiée au sein de l’Union. Et c’est là que le bât blesse. Elle ne reconnaît plus sa Pologne : " Je n’envisage pas de quitter le payer comme tant de millions de mes compatriotes le font, parce que ma mère y vit encore. C’est l’unique raison. Pour le reste, je suis consciente de vivre dans un pays dirigé par des fous, mais plus grave, ces fous mettent en place une société rétrograde et dangereuse qui perdurera après les prochaines élections. Je suis née en 1967, je suis donc soumise, puisque je suis collaboratrice d’un journal, à cette loi de " lustration " qui m’impose de déclarer si j’ai été ou non une informatrice de la police secrète pendant l’ère communiste. Les gens nés avant 1972 occupant des fonctions dans 52 professions doivent se plier à cette règle imbécile, les universitaires, les journalistes, les archivistes, les policiers, les fonctionnaires, des avocats, des magistrats, les hommes d’affaires… C’est une loi scélérate parce qu’elle crée le doute entre les gens, elle ouvre des horizons aux ambitieux qui soupçonnent leurs aînés d’avoir été des agents de la police secrète… L’Eglise, à son plus haut niveau, a été touchée par cette réglementation. Le pire en fait, c’est que beaucoup de Polonais, trop de Polonais, s’adaptent à la situation, admettent ce régime absurde moraliste et moralisateur où la délation et le mépris sont les attributs du pouvoir. "
Les frères Kaczynski, président et premier ministre, fignolent une théorie politique étonnante : l’anticommunisme de droit divin. Au nom de la Pologne catholique, ils rêvent de corriger plus de quarante ans d’histoire de leur pays sans trop se soucier des siècles où il plia sous le joug de tous les dictateurs possibles et imaginables. Et pour cause, la Pologne immortelle de leurs fantasmes repose sur les dogmes les plus éculés imposés par le clergé le plus réactionnaire. L’anticommunisme est le cache sexe d’un projet de société qui ferait d’un membre de l’Union européenne, un exemple d’état crypto fasciste. La Pologne rêvée des frères Kaczynski, aurait l’odeur d’une démocratie, la couleur d’une démocratie, le goût d’une démocratie, mais assoirait les normes d’un pays moralement et mentalement fascisant. Les tentatives de durcir la loi sur l’interdiction de l’avortement, les discours officiels ou tolérés, antisémites, homophobes, xénophobes, les imprécations anti européennes, d’autant plus mal venues que la Pologne perçoit de l’Union 75 milliards d’Euros en dix ans, la tentation, si ce n’est militariste, en tout cas " militarisante " pro américaine et anti russe… les démonstrations de l’instauration d’un régime politique particulier ne manquent pas. L’opposition existe, à gauche, à droite, dans les médias ou dans l’église, mais cette phase de maccarthysme, la tétanise. Les victimes du système se multiplient, vilipendées par une presse odieuse. Le Père Tadeusz Rydzyk, le patron de Radio Marija, la station accusatrice et délatrice par excellence, serait traîné devant les tribunaux de n’importe quel pays ouest européen. En Pologne, il est considéré comme un homme d’influence un peu excessif… Les dirigeants des médias audiovisuels publics sont à la botte du régime…
La coalition gouvernementale de Jarozlaw Kaczynski qui réunit les extrémistes de la " Ligue des Familles " et d’ " Autodéfense " autour du Parti " Droit et Justice " joue les vierges effarouchées et dans un élan paranoïaque qui laisse perplexe certains de ses amis américains affirme qu’il existe une " conspiration " qui maintiendrait la Pologne sous le contrôle des ex communistes, des collaborateurs de l’ancien régime, des libéraux laïcs, des hommes d’affaires et des Russes ".
En attendant, en dix-huit mois, quatre ministres des finances, deux ministres des Affaires Etrangères, deux ministres de la Défense et deux Premiers ministres se sont succédés pour parer à l’essentiel : maintenir une image crédible de la Pologne à l’étranger. Dans les couloirs de l’Union européenne, parmi les mots qui fâchent, il y a le mot Pologne. A entendre les Polonais s’inquiéter de leur sort, c’est la moindre des choses.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, mai 2007

France: présidentielles: ce ne sera pas maillot jaune et jaune maillot

Personne n’a pensé à organiser un contrôle anti dopage au soir du face à face entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ? On aurait peut-être du y penser : depuis quelques jours le champion de la droite fait allusion au Tour de France, à la difficulté des étapes de montagne et aux victoires nécessaires en plaine. Il ne dit jamais rien par hasard Sarko… Mercredi soir, sur le plateau de Cognac Jay, Ségo fut vive et même efficace pour river son clou à son adversaire. Elle fut fâchée, en colère, sereine, décidée, précise, outrée, sûre d’elle. Elle fut même de gauche avec ses projets de protection sociale, de soutien au premier emploi, au service public, à l’enseignement, dans les domaines économiques. Elle démontra à quel point, la France de Sarkozy n’était pas la France qu’elle espérait. Il n’y a pas de confusion possible.
Lui, avec ses points d’avance dans les sondages, sa large victoire personnelle au premier tour, et une droite électoralement largement majoritaire dans le pays, avait choisi de rester " le nez dans le guidon ". Calme au point d’intriguer les meilleurs connaisseurs de sa personne, il s’est voulu zen, raisonnable, serein, tranquille, donneur de leçon (parce que même sous antidépresseurs ou après un cours de self contrôle on ne se refait pas). Curieusement, il ne fut pas précis, comme si entrer dans les détails et gérer ses angoisses n’allaient pas de paire. Par contre, pour ceux qui viennent de passer quelques années sur mars, cet homme est bien de droite, avec sa vision rigoriste de l’éducation, un sens… obtus de la répression, des certitudes inébranlables quant aux bienfaits du capitalisme.
Pour le reste, rien. On a rien appris de plus. Au cours d’une longue campagne, les candidats ont tout dit. Tout promis. Hier, vingt millions de Français cherchaient la faille de l’un ou de l’autre.

Suisse: pour une Gauche ambitieuse

Face au populisme et à l’individualisme à outrance imprimés par la
droite, il fait prendre le temps de la réflexion pour mieux agir
La Gauche est une tribu fractionnée en familles plus ou moins
nombreuses dont les rejetons ne sont pas toujours bien éduqués et les
anciens pas les moins acariâtres. La Mémoire, celle de l’humanité,
parfois plus précisément la mémoire ouvrière, des luttes ou des
résistances, la cimente et l’unifie aussi sûrement qu’elle la divise.
Parce que la gauche est paradoxale.
Sous les coups de boutoir du libéralisme et de l’individualisme, elle
s’affaiblit, mais ainsi va le combat pour plus de justice sociale:
les générations passent et le temps de défendre les acquis prend le
pas sur les périodes plus revendicatrices, plus offensives. Sauf que
l’affaiblissement de la gauche n’est pas que le fruit des victoires
du capitalisme. C’est de l’intérieur que cet extraordinaire mouvement
de pensée et d’action s’essouffle.
En Suisse, le mouvement syndical, "le bras armé du droit des
travailleurs" se renouvelle difficilement et perd de son influence,
la social démocratie, indispensable à l’inscription législative des
règles de droit social, tangue trop souvent dangereusement vers un
centrisme malencontreux, le mouvement écologiste déserte le camp
progressiste pour quelque aventure droitière, le PST connaît des
fortunes diverses et se marginalise, associé à l’extrême gauche au
sein d’une plateforme "A Gauche Toute!" qui, pour l’instant,
fonctionne au petit bonheur la chance. Voilà la réalité de la Gauche
en Suisse aujourd’hui! Elle ne peut, hélas, être démentie si ce n’est
par des optimistes velléitaires.
L’autre réalité est que, plus que jamais dans l’Histoire, en Suisse
et ailleurs en Europe, les conservateurs ne se contentent pas
d’imposer leurs vues aux citoyens, ils les gagnent à leur cause. Ils
installent un discours, un ton, un vocabulaire, un système de pensée,
une mentalité qui exclut indubitablement l’autre, l’étranger, le
voisin, l’inconnu, le concurrent.
La gauche vit au jour le jour
La gauche fonctionne dans l’urgence, entre deux scrutins, deux
votations, deux campagnes de signatures nécessaires pour combattre
les excès du libéralisme. Aucune de ses composantes ne semble en état
de penser ou prévoir la contre-offensive. Personne n’envisage de
repenser la politique, de réinventer la gauche, d’aller au terme
d’une réflexion, de positionner ou repositionner une idéologie.
Idéologie, terme douteux pour certains parce que des penseurs de
droite ont laissé entendre que "l’idéologie n’était rien, que le
concret était tout"… Cette simple affirmation est le fruit d’une…
idéologie mise au point dans les cercles des intellectuels
conservateurs, comme la formule "la droite et la gauche, c’est la
même chose" ou la stratégie qui consiste pour les politiciens de
droite à confondre la solidarité et l’assistanat et, ainsi prétendre
qu’un chômeur est un assisté plutôt qu’un travailleur jouissant de la
solidarité. La droite pense ce qu’elle fait et dit.
La gauche vit au jour le jour. N’est-il pas au moins temps de
réfléchir à la possibilité de ne pas admettre ipso facto l’agenda
imposé par la droite, ou de récuser ses thèmes de prédilection pour
mieux les resituer dans des contextes plus appropriés? N’est-il pas
temps de redevenir ambitieux? La formation, dans la plupart des
organisations politiques et sociales, est quasi nulle, les cercles de
réflexion politiques sont inexistants ou, quand ils existent,
vilipendés par les dirigeants politiques les plus pragmatiques. Parce
que, très curieusement, le pragmatisme n’inclurait que très peu, ou
pas du tout, l’étude, la formation, le débat d’idées.
Sommes-nous obligés, femmes et hommes de gauche, de concevoir la
politique selon des normes imposées par la tradition bourgeoise?
Devons-nous absolument maintenir des prés-carrés cantonaux ou locaux
en prenant le risque d’ignorer le savoir-faire et l’expérience de nos
camarades distants de quelques dizaines de kilomètres? Ne serons-nous
bientôt que de folkloriques participants à la saga démocratique
bourgeoise? La Gauche ambitieuse, ne serait-elle pas une Gauche qui
se connaît et se redécouvre?
La rédaction de Gauchebdo, Suisse, Mai 2007