vendredi 4 mai 2007

Suisse: pour une Gauche ambitieuse

Face au populisme et à l’individualisme à outrance imprimés par la
droite, il fait prendre le temps de la réflexion pour mieux agir
La Gauche est une tribu fractionnée en familles plus ou moins
nombreuses dont les rejetons ne sont pas toujours bien éduqués et les
anciens pas les moins acariâtres. La Mémoire, celle de l’humanité,
parfois plus précisément la mémoire ouvrière, des luttes ou des
résistances, la cimente et l’unifie aussi sûrement qu’elle la divise.
Parce que la gauche est paradoxale.
Sous les coups de boutoir du libéralisme et de l’individualisme, elle
s’affaiblit, mais ainsi va le combat pour plus de justice sociale:
les générations passent et le temps de défendre les acquis prend le
pas sur les périodes plus revendicatrices, plus offensives. Sauf que
l’affaiblissement de la gauche n’est pas que le fruit des victoires
du capitalisme. C’est de l’intérieur que cet extraordinaire mouvement
de pensée et d’action s’essouffle.
En Suisse, le mouvement syndical, "le bras armé du droit des
travailleurs" se renouvelle difficilement et perd de son influence,
la social démocratie, indispensable à l’inscription législative des
règles de droit social, tangue trop souvent dangereusement vers un
centrisme malencontreux, le mouvement écologiste déserte le camp
progressiste pour quelque aventure droitière, le PST connaît des
fortunes diverses et se marginalise, associé à l’extrême gauche au
sein d’une plateforme "A Gauche Toute!" qui, pour l’instant,
fonctionne au petit bonheur la chance. Voilà la réalité de la Gauche
en Suisse aujourd’hui! Elle ne peut, hélas, être démentie si ce n’est
par des optimistes velléitaires.
L’autre réalité est que, plus que jamais dans l’Histoire, en Suisse
et ailleurs en Europe, les conservateurs ne se contentent pas
d’imposer leurs vues aux citoyens, ils les gagnent à leur cause. Ils
installent un discours, un ton, un vocabulaire, un système de pensée,
une mentalité qui exclut indubitablement l’autre, l’étranger, le
voisin, l’inconnu, le concurrent.
La gauche vit au jour le jour
La gauche fonctionne dans l’urgence, entre deux scrutins, deux
votations, deux campagnes de signatures nécessaires pour combattre
les excès du libéralisme. Aucune de ses composantes ne semble en état
de penser ou prévoir la contre-offensive. Personne n’envisage de
repenser la politique, de réinventer la gauche, d’aller au terme
d’une réflexion, de positionner ou repositionner une idéologie.
Idéologie, terme douteux pour certains parce que des penseurs de
droite ont laissé entendre que "l’idéologie n’était rien, que le
concret était tout"… Cette simple affirmation est le fruit d’une…
idéologie mise au point dans les cercles des intellectuels
conservateurs, comme la formule "la droite et la gauche, c’est la
même chose" ou la stratégie qui consiste pour les politiciens de
droite à confondre la solidarité et l’assistanat et, ainsi prétendre
qu’un chômeur est un assisté plutôt qu’un travailleur jouissant de la
solidarité. La droite pense ce qu’elle fait et dit.
La gauche vit au jour le jour. N’est-il pas au moins temps de
réfléchir à la possibilité de ne pas admettre ipso facto l’agenda
imposé par la droite, ou de récuser ses thèmes de prédilection pour
mieux les resituer dans des contextes plus appropriés? N’est-il pas
temps de redevenir ambitieux? La formation, dans la plupart des
organisations politiques et sociales, est quasi nulle, les cercles de
réflexion politiques sont inexistants ou, quand ils existent,
vilipendés par les dirigeants politiques les plus pragmatiques. Parce
que, très curieusement, le pragmatisme n’inclurait que très peu, ou
pas du tout, l’étude, la formation, le débat d’idées.
Sommes-nous obligés, femmes et hommes de gauche, de concevoir la
politique selon des normes imposées par la tradition bourgeoise?
Devons-nous absolument maintenir des prés-carrés cantonaux ou locaux
en prenant le risque d’ignorer le savoir-faire et l’expérience de nos
camarades distants de quelques dizaines de kilomètres? Ne serons-nous
bientôt que de folkloriques participants à la saga démocratique
bourgeoise? La Gauche ambitieuse, ne serait-elle pas une Gauche qui
se connaît et se redécouvre?
La rédaction de Gauchebdo, Suisse, Mai 2007