jeudi 29 novembre 2007

La Russie en partis pris

«Quiconque ne regrette pas l’Union Soviétique n’a pas de cœur. Quiconque regrette l’Union Soviétique est un idiot». Le président russe Vladimir Poutine est philosophe à l’occasion. Il dit aussi : « la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique de l’Histoire ». Le président Poutine est Pragmatique en permanence. Anticommuniste proclamé (« les idées communistes sont un cafard idéologique »), l’ancien général du KGB, rend volontiers hommage, dans le désordre, à Staline, à ses victimes, au Tsar de toutes les Russies, à la puissance russe d’antan et à celle du futur, au capitalisme et à l’influence de l’Etat sur les affaires. Il ne se plie à aucune logique qui nous est familière, parce que la Russie qu’il gouverne, avec une efficacité telle que la popularité dont il jouit n’est même pas surprenante, ne répond à aucune norme démocratique occidentale.

Poutine craint la solitude à la Douma
Il n’est pas raisonnable de s’aventurer dans les méandres de la politique, des affaires, des luttes de clans russes sans un guide chevronné. Gauchebdo a demandé à Jean Marie Chauvier, journaliste, écrivain, collaborateur au Monde Diplomatique, ancien correspondant du quotidien communiste belge « Le drapeau Rouge » et de la RTBF à Moscou pendant de longues années, de défricher la réalité russe à la veille des élections législatives du 2 décembre et à l’avant-veille des élections présidentielles du 2 mars 2008. La seule question qui se pose avant les législatives, est déjà affolante : « le seul enjeu, le seul risque que pourrait courir le parti de Vladimir Poutine serait de se retrouver seul à la Douma, explique Jean Marie Chauvier. Que les autres partis n’obtiennent pas le quorum pour disposer d’élus c’est improbable, mais pas impossible. En principe le Parti communiste devrait entrer à la Douma. Pour les autres, c’est moins sûr. Les partis libéraux et de droite, dont on parle tant dans les médias occidentaux, ne pèsent pas lourds en réalité. Et pas seulement, parce qu’ils ne disposent pas de la communication et sont empêchés de défendre leurs vues sur les principales chaînes de télévision. Si le parti de Poutine, « Russie Unie » occupait toute la Douma, le Parlement russe, Poutine ferait face à un casse-tête : il n’a aucune intention de promouvoir un parti unique ni de ridiculiser la nouvelle démocratie russe. Respectueux de la Constitution, il n’a pas, ou pas encore, cherché à contourner la limite des deux mandats présidentiels. Donc il ne sera pas, en principe parce que nous parlons de la Russie, candidat à un troisième mandat en mars prochain. Ses préoccupations sont bien plus complexes, très pragmatiques. Néanmoins, « Russie unie » détiendra vraisemblablement plus de deux-tiers des sièges pour la prochaine législature. S’il le décide, Poutine sera premier ministre. Et quand il le voudra, il sera le seul vrai patron du pays. »

Kasparov financé par les Américains
On se demande d’ailleurs si la campagne n’est pas plus active vue de l’extérieur que de l’intérieur du pays. Après tout, les déboires du champion d’échec Kasparov, emprisonné pour cinq jours, ont surtout fait la « une » des médias occidentaux : « Kasparov et son parti un peu « fourre-tout » font de la provocation, faute de disposer d’autres moyens de communication. Autour de Kasparov, s’agglomèrent des libéraux, un parti national bolchévique, des militants d’extrême gauche. Cela inspire d’autant moins confiance aux Russes, surtout soucieux de stabilité, que « l’Autre Russie », comme d’autres forces politiques, est financée par des fondations américaines. Ce n’est même pas un secret de polichinelle, ces fondations, en toute transparence, indiquent ce « détail » sur leurs sites. Mais ce n’est pas l’accès limité ou inexistant aux médias qui handicape le plus ces partis, c’est leur histoire et la responsabilité de leurs dirigeants dans le crash financier de 1998. A l’époque, La tendance était à l’américanophilie et aux excès de l’oligarchie « eltsinienne ». Les Russes sont patriotes. Ils veulent des solutions à la russe, comme Vladimir Poutine les prônent. Ils préfèrent à un capitalisme sauvage, une société libérale dont les grandes structures industrielles et énergétiques restent sous la surveillance de l’Etat. Les néolibéraux russes s’étaient laissés tentés par une occidentalisation de l’économie.

Résistances associatives et locales
La situation est intenable pour ces petits partis qui doivent faire face au conglomérat de « Russie Unie », la machine politique de Poutine : l’Union des Forces de Droite, le parti Yabloko centriste, l’ « Autre Russie » de Kasparov, s’opposent à la politique gouvernementale en matière de logement (le projet d’élever le prix les loyers, du gaz, de l’électricité au prix du marché étranglerait une partie importante de la population), du fonctionnement de la démocratie... comme la Parti communiste. Ils tentent de s’impliquer dans les nombreux mouvements sociaux pour exister politiquement. Mais la résistance à Poutine se développe au sein de milliers de petites organisations et associations, dans les quartiers, les cités avec un leitmotiv : le refus des réformes libérales. »
Jean Marie Chauvier stigmatise la médiatisation par les Occidentaux des organisations marginales en Russie et le traitement à la fois hostile et limité de la complexité du « monde poutinien »: « La popularité de Poutine répond aux réalités du pays et de la population. Les Russes cherchent à se rassurer. Ils ont besoin d’un père en quelque sorte, ils veulent un « monarque » capable de refigurer dans des contextes nouveaux des traditions anciennes. Poutine leur propose des méthodes modernes et néoconservatrices à la fois. Il prône une voie et une voix russes sans copier celles des autres, une voie singulière, mais dans le cadre de la globalisation. Ce sont des propositions que les Russes ne veulent pas refuser. « Russie Unie », le parti de Poutine, se situe au centre-droit, en faveur d’un libéralisme économique et du capitalisme. C’est en quelque sorte un parti « protecteur » comme il est de tradition en Russie : l’administration aujourd’hui est plus lourde, plus énorme que du temps de l’Union soviétique. »

La renaissance de la puissance russe
Il existerait donc bien une voie russe vers le « libéralisme à responsabilités limitées ». Parce que Monsieur Poutine joue aussi les funambules entre les sphères d’influence, les clans qui forment sa « famille » : « « Russie Unie » est un conglomérat formé après 1999, explique encore le journaliste belge. Ce sont les oligarques qui ont choisi Poutine, Berezovski, l’homme d’Eltsine, (aujourd’hui réfugié en Angleterre) précisément. Autour de Poutine, le chef de guerre qui a mené le second conflit tchétchène, se retrouveront différentes personnalités, des partis, des élites. L’idée était de fonder un parti sans idéologie ni programme, mais avec un chef. Un parti russe. Un parti dominant pour longtemps. Un parti dont l’objectif affirmé est la renaissance de la puissance russe. Vladimir Poutine pèse du poids de ses ambitions pour le pays. Il a surfé sur la vague antilibérale des années 2000 pour atteindre son objectif : reprendre en main les secteurs énergétiques. Il s’est débarrassé des oligarques, ceux-là mêmes qui lui avaient mis le pied à l’étrier. D’une manière ou d’une autre – la Russie n’est pas à proprement parlé un état de droit – il a placé des hommes de confiance dans des structures à capitaux mixtes ou publics. Il favorise un capitalisme dirigé plutôt qu’un dirigisme économique. Les Russes approuvent : selon les sondages, ils disent massivement oui au marché, oui aux PME privées mais oui aussi… à la renationalisation des grandes industries. »

Poutine se méfie de ses amis
Rien ne s’oppose donc à ce que le « Président Poutine », même s’il se faisait désormais connaître sous le titre de « premier ministre Poutine » domine la situation et le pays : « Il jongle réellement entre différentes écoles. Par exemple, il existe un fonds de stabilisation économique issu des ressources pétrolières. Plus de 100 milliards de dollars. Le clan Poutine, ses proches venus de Saint Petersburg au Kremlin, souhaitent développer une politique industrielle publique avec la relance de la métallurgie, des industries de la défense, la promotion des nouvelles technologies, l’enseignement, la santé etc.… Au sein du gouvernement russe, le ministre des finances, Ivanov, promeut l’idée de maintenir ce fonds pour les lendemains qui déchantent. »
Là est le vrai combat politique de Poutine : maintenir l’équilibre entre ses amis. Jean Marie Chauvier explique aussi que les fonds russes en dehors de Russie s’élèvent à mille milliards de dollars, que l’équilibre géopolitique mondial se joue aux frontière de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques courtisées par les Américains, que se dessine une alliance entre la Russie, l’Inde et la Chine…
La Russie serait-elle en des mains rassurantes pour ses peuples… par défaut ? Il n’y aurait pas d’alternative… Et le monde n’a pas les moyens de se fâcher avec le maître du…Kremlin. C’est bien connu.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Suisse: A Genève, le mépris de gauche

Les fonctionnaires de la ville de Genève réclament leur du. Le conseil administratif (la mairie), majoritairement de gauche se laisse tirer l’oreille… Et les travailleurs de constater que le mépris n’est pas le triste privilège des patrons de droite.

Très courtois, le porte-parole de la camarade Salerno, la conseillère administrative socialiste chargée des finances à la ville de Genève. Courtois et efficace : « le Conseil administratif ne communique pas sur le problème posé par les fonctionnaires municipaux. Les négociations sont en cours. » Et d’ajouter : « on en parle tous les jours dans les médias, de cette affaire ».Oui mais non ! « On » en parle justement assez peu, dans les médias, des fonctionnaires municipaux genevois qui se demandent pourquoi quand « y a des sous, on reçoit rien de plus que quand y avait pas de sous ». Surtout, « on » ne les prend pas trop au sérieux. Ou pire, « on » les prend pour des fainéants privilégiés, des « je me la coule douce »… Les remarques acerbes, les phrases assassines pullulent pour dénoncer les agents du service public en général. C’est un sport dans un pays où, précisément, le service public fonctionne bien, au point d’intéresser le privé. Les projets d’externalisation de certains services que l’on prête au conseiller administratif radical Pierre Maudet, n’auraient pas de sens s’ils ne répondaient pas à une logique marchande. La confusion, installée entre la contestation de la qualité du travail des fonctionnaires et la logique libérale qui veut moins d’Etat au profit des entrepreneurs, fait son bonhomme de chemin. Il est plus facile, plus… communicant d’affirmer que le secteur privé coûte moins cher à la communauté, que le service public. Les fonctionnaires, par leur statut, seraient moins productifs. Haro donc sur les travailleurs du service public. L’argument connaît un succès retentissant. Il est erroné : le service public relève d’une logique incontournable: la communauté jouit d’une autonomie d’action, d’une indépendance parce que, précisément, les fonctionnaires ne dépendent pas d’une logique exclusivement financière. Aucune étude scientifique ne démontre qu’ils travaillent plus mal que d’autres, que leurs avantages sociaux ou leurs revenus ne coïncident pas, peu ou prou, avec ceux des autres salariés du pays. Comme par hasard, les services sociaux fatalement déficitaires n’intéressent pas les entrepreneurs. La récolte des amendes de circulation, oui.

Les fonctionnaires municipaux genevois rencontrés, n’en veulent pas à Pierre Maudet d’être lui-même : un adepte de l’économie de marché, un libéral pur sucre. Ils se montrent plus circonspects à l’égard des autres élus, des autres patrons de la ville de Genève : le vert Mugny, les socialistes Tornare et Salerno. Et même l’élu d’A Gauche Toute !, Remy Pagani. Pourtant ce dernier, fait ce qu’il peut. D’après certaines informations concordantes, il freine autant que possible, les pulsions purement gestionnaires des trois autres élus de gauche. Et le groupe municipal « A Gauche toute ! », menace de ne pas voter le budget si les revendications, jugées au minimum légitimes, des travailleurs ne sont pas rencontrées: ils réclament la reprise des mécanismes salariaux, la participation à l'assurance maladie et la redistribution d'une prime au personnel en rapport avec les comptes 2007. La ville de Genève réalise un excédent de plus de 47 millions de francs. Beaucoup plus selon certaine sources. Une manne… Rien pour les fonctionnaires qui depuis trois ans sont privés d’annuités statutaires parce que le budget était déficitaire. Pendant ce temps, au Locle, le budget modestement bénéficiaire profite aussi aux employés municipaux dont les revenus augmentent de 1%. C’est une question de culture politique sans doute, pas une question comptable. Au Locle, la gauche est de gauche. A Genève, la gauche est… de Genève.
Outre l’aspect purement financier, extrêmement important pour les bas salaires, la tension qui règne en ville de Genève est paraît-il palpable, selon la syndicaliste du SIT, Valérie Buchs : « il n’y a plus d’embauche et les prestations sont plus importantes. Les gens travaillent plus ». « Nous sommes exaspérés, explique un membre du « comité de grève » qui prépare l’arrêt de travail du 4 décembre. Salerno mène une politique antisociale. Nous ne demandons que le respect des statuts. N’importe qui, dans n’importe quelle profession, s’énerverait si une convention collective était bafouée. Sincèrement, nous ressentons du mépris de la part du Conseil administratif, et on ne peut pas s’empêcher de se dire que les patrons de gauche peuvent être pires que ceux de droite. Les pressions sur les travailleurs pour qu’ils ne débraient pas le 4 décembre sont nombreuses. Et ce n’est pas par hasard si je vous demande de ne pas citer mon nom ou ma fonction dans le journal. »… La colère des fonctionnaires, ce ne serait donc pas uniquement une histoire de sous…
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Europe: l’expérience suisse pour développer le PGE ?

Le deuxième congrès d Parti de la Gauche européenne s’est réuni à Prague ce dernier weekend de novembre. Des organisations des différents horizons de la gauche communisante, écologique et altermondialiste ont tenté d’asseoir les bases d’une structure commune pour une Europe progressiste et sociale. Le Parti suisse du Travail est partenaire de l’initiative.

Des ambitions concrètes, une appréciation réaliste des forces actuelles de la gauche de la gauche européenne, voilà ce que retient du congrès de Prague, le nouveau délégué suisse à l’exécutif du Parti de la Gauche européenne (PGE), Norberto Crivelli : « J’ai bon espoir de voir grandir un véritable parti continental, plutôt qu’un club de partis dont les délégués se rencontrent pour discuter de tout et de rien. Lothar Bisky (Die Linke, Allemagne), le nouveau président du PGE propose une dynamique d’ouverture très nécessaire pour harmoniser des organisations aux antagonismes historiques. Il y a des crises à surmonter. Les 19 partis membres et les nombreux partis observateurs ne sont pas tous des partis communistes monolithiques, traditionnels. Le Bloc portugais, par exemple, ou la Gauche Unie espagnole sont froidement antagonistes des partis communistes, le PCP et le PCE. Ils ne le cachent pas. Cette franchise, au sein du PGE, rassure pourtant certains candidats à l’adhésion. Un délégué du parti des communistes italien (PdCI) me disait apprécier cette fédération de partis et de sensibilités. Nous avons des adversaires communs, des luttes communes, des projets communs. Cela doit être suffisant pour bâtir, ensemble, un parti européen influent. Sans pour autant nier nos différences et nos divergences. Ce que nous devrons apprendre, c’est à les relativiser. Tout le monde s’entend pour affirmer une nouvelle vision de la gauche, une vison refondatrice.»
A entendre le dirigeant du parti communiste tessinois, le PGE ressemble au PST : « Nous avons effectivement une expérience à mettre à la disposition du parti européen. Nous ne sommes pas les seuls. Mais notre système de sections cantonales très autonomes, des sensibilités politiques complémentaires ou, parfois, divergentes au sein d’une même organisation coïncide assez justement avec cette grande structure européenne qui se développe à la gauche du parti socialiste avec des communistes, des écologistes, mais aussi des socialistes de gauche ou des éléments très radicaux. Nous vivons cette réalité, au PST, depuis la création de notre parti, en 1944. Nous pourrions aussi apporter notre vécu et notre savoir pratique dans le domaine plus général du développement de la démocratie participative que revendique le PGE, au sein de l’Union européenne, qui se prononce dans l’immédiat pour des referendums sur l’avenir du projet européen. La situation du PST est évidement un peu particulière, au sein du PGE. Nous en sommes membres à part entière, totalement intégrés à la structure sans que notre pays ne soit membre de L’Union européenne. Dans bien des domaines spécifiques, la législation de l’Union par exemple, notre contribution est plus que limitée, mais d’un autre côté, nous jouissons d’une liberté d’appréciation de ce que nous entendons, ce qui peut être utile à nos camarades. Quoi qu’il en soit, l’avenir dira si nous sommes entendus, nous les représentants d’un petit parti, d’un petit pays. Mais encore une fois, j’ai confiance : nous sommes parmi les nôtres pour lutter pour le droit syndical, l’environnement, pour le monde agricole, pour une Europe des citoyens. »
Propos recueillis par Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

jeudi 22 novembre 2007

Suisse-Europe : l’Internationale "brun clair" existe…

Il nous est parfois fait grief, même chez nos amis politiques, de dénoncer le fascisme de l’UDC. Certains puristes de la science politique s’inquiètent de la banalisation du terme, d’autres, pragmatiques, estiment que le parti blochérien, aussi insupportable puisse-t-il être, ne s’inscrit pas dans la ligne de Mussolini, Franco, Salazar ou des ligues françaises de l’entre-deux guerres, par exemple. Tout au plus, reprocheraient-ils à l’UDC d’avoir accordé l’asile à quelques anciens militants nazillons, un adepte de la secte Moon en rédemption, quelques racistes déclarés, deux ou trois négationnistes de la Shoah… Mais ils persistent à considérer qu’un parti qui admet les principes et les règles de la démocratie n’est pas un parti fasciste. Ne prenons pas acte de cette dernière affirmation sans rappeler que la démocratie fut toujours, à un moment ou l’autre de l’Histoire, l’otage, puis la victime du fascisme, précisément.

La Société du Mont Pélerin
Le débat existe en fait. Considérer l’UDC comme fasciste est facile et pratique, mais pas efficace. Plus prosaïquement, ce n’est pas dans le passé nauséabond qu’il convient de chercher son « fonds » idéologique. L’UDC répond aux critères modernes de l’ultralibéralisme. Elle est en Suisse l’avant-garde du mouvement pour la déstructuration sociale. Elle se nourrit des réflexions et des travaux des penseurs les plus réactionnaires, souvent les plus brillants aussi, qui cogitent, entre autres think tanks et fondations, au sein de la Société du Mont Pèlerin, près de Montreux. Ce rassemblement d’experts de haut niveau (huit prix Nobel d’économie y ont adhérés) défend pour l’essentiel une vision libérale radicale. Ses membres envisagent le danger du « plus d’Etat », de « Etat-Providence », du « pouvoir des syndicats »… des « entreprises monopolistiques » et « la menace de l’inflation ».

Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la Bourse
Cela nous éloigne évidemment de Zottel, la chèvre- peluche « made in China », propagandiste en chef de la campagne blochérienne contre les immigrés, pour une Suisse aux Suisse, contre l’Etat social et responsable de ses citoyens les plus fragiles, pour une sécurisation de la société…
Peut-être moins qu’il n’y paraît. Christophe Blocher et ses idées… « révolutionnaires » séduisent les électeurs autour d’un thème central, pratiquement un non-dit : « citoyen, occupes-toi de toi-même, protège tes intérêts, ton terroir. Tu es ton propre avenir ». En d’autres termes, « ne laisse pas la communauté se soucier de toi ». Le message des grosses têtes pensantes de l’économie libérale ne dit rien d’autre. Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la bourse et à l’entrepreneur. Au capitalisme pur et dur.

Des dirigeants « propres sur eux »
Et l’UDC n’est qu’un bataillon parmi d’autres en Europe. L’extrême droite en Flandre, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, en Autriche, s’est transformée en des partis habiles dont les dirigeants sont « propres sur eux », symboles de réussites sociales personnelles, étrangers, autant que possible, aux événements funestes de l’Histoire du XXème siècle. La droite dure, on dit déjà moins « l’extrême droite » et pratiquement plus « les fascistes », est totalement décomplexée face à une gauche sans ressort. Sa mission, qu’elle mène à bien, consiste à entraîner les autres forces libérales vers un projet sociétal totalement individualisé. Et privatisé. Dans ces petits pays riches, le citoyen peut à la fois s’affirmer dans sa spécificité locale et admettre l’évidence de la mondialisation économique. Les économistes et les politologues de droite qui ont pensé à ce détail sont des génies.

Pas fasciste. Mais…
Dans ces pays où la droite dure est potentiellement ou pratiquement
un partenaire acceptable pour les autres forces politiques, la pensée
ultralibérale et réactionnaire fait son chemin. Elle devient
incontournable.
En France, un pays important où la stratégie des « petits et riches » ne fonctionne pas, Nicolas Sarkozy a embrassé quelques idées maîtresses de Jean Marie Le Pen. En Flandre, les partis catholiques et libéraux ont été élus sur un programme populiste et conservateur. Les Danois retrouveront l’extrême droite au gouvernement. La politique batave en matière d’immigration renie des siècles d’ouverture…
L’internationale « brun clair » existe. Elle n’est donc pas fasciste. Mais il sera difficile de ne pas lui trouver des « marques de fabrique » dont les Européens se seraient bien passés : populiste, xénophobe, raciste, antisociale, autoritariste, chauvine, nationaliste, régionaliste, ultralibérale…
Craignons le pire avec ces partis qui ne sont pas fascistes.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007

Belgique : vers un gouvernement antisocial ?

Près de six mois sans gouvernement, la Belgique se découvre patiente et inquiète de son sort. La querelle linguistique prend des allures d'alibi: à quelle prix, le pays implosera-t-il ou non?

Le baobab linguistique cache une forêt socioéconomique, dont certains voudraient séparer les bois précieux des arbres appauvris par les maladies, tombant sous les coups de boutoir et les scies électriques de l’ultralibéralisme ou pourrissant sur pieds. L’histoire belge, dont on raconte les épisodes au fil du temps et des vaines négociations pour la formation d’un gouvernement, est sans doute une démonstration marquante de cette Europe qui se construit au nom de l’efficacité économique, l’Europe libérale, désormais souvent badigeonnée aux couleurs du chauvinisme et des nationalismes. La solidarité entre les peuples, les régions, les pays, dont l’Europe unie se fait la championne, n’est qu’un leurre : les discours conservateurs, populistes, autonomistes s’imposent partout ou presque sur le continent. Les revendications flamandes ne contredisent pas l’idée d’une Europe libérale ni le message qui confond solidarité et assistance.

la Flandre décisionnaire
A l’analyse, les coups de force flamands en matière linguistique, à la fois symboliques et virulents respectent la légalité : en refusant de nommer trois bourgmestres (maires) francophones des communes bilingues en régions flamande, en tentant d’imposer à 120.000 citoyens francophones l’obligation de ne voter que pour des candidats inscrits sur des listes flamandes, les élus néerlandophones bousculent quelques droits élémentaires des citoyens, mais font ce qu’ils ont promis à leurs électeurs : rendre la Flandre plus forte, plus décisionnaire. Quand les parlementaires flamands votent une résolution en faveur de la scission électorale et judiciaire entre Bruxelles et 35 communes flamandes de sa périphérie, ils tiennent parole.
Et la Flandre apprécie. Selon un récent sondage paru dans le quotidien De Standaard, les conservateurs sociaux-chrétiens et libéraux seraient confortés dans leur politique offensive au détriment…du Vlaams Belang, le parti fasciste, exclu des négociations, qui perdrait des voix au profit d’un ultra libéral, ancienne vedette du judo belge, Jean Marie De Decker. La gauche flamande, elle, serait en déroute. Les Flamands ne semblent pas applaudir à l’idée de « moins de Belgique » mais 70% des sondés souhaitent une Flandre plus autonome. Le fédéralisme belge a un prix qu’ils ne veulent, semble-t-il, plus assumer.

"Bruxelles sera leur Jérusalem"
Le transfert entre la Flandre, riche, et la Wallonie, appauvrie, s’élèverait à 10 milliards d’Euros par an. Les déséquilibres s‘inscrivent dans les domaines sociaux, fiscaux et de l’emploi. La fédéralisation de la Sécurité sociale sonnerait plus assurément le glas de la Belgique unie que n’importe quelle querelle linguistique. Le pays imploserait s’il perdait sa structure sociale. Tout le monde en est conscient, mais rien n’indique que les politiciens flamands ne courront pas ce risque. Les six mois de crise gouvernementale ont, en quelque sorte, préparé les Belges au pire.
Reste que les Flamands n’envisagent pas leur avenir sans Bruxelles, le poumon économique et stratégique du pays. Bruxelles et ses 85% de francophones. Le constitutionnaliste fédéraliste liégeois François Perrin, estimait, en des termes un peu messianiques, dans le quotidien « le Soir » qu’en aucun cas, les Flamands ne feraient l’impasse de la capitale de l’Europe : « Bruxelles sera leur Jérusalem. Les Flamands sont des pragmatiques astucieux, qui grappillent le maximum. Et des obsessionnels qui veulent Bruxelles comme capitale de la Flandre. Et sans jamais consulter la population, surtout ! Ils ont la volonté consciente de nier l’évidence francophone de Bruxelles. Pour eux, une enclave située dans le territoire flamand appartient de facto à la Flandre. Passionnelle, la question de Bruxelles ne peut être abordée par la raison. C’est leur grand rêve mythique ! »
Au pragmatisme de leurs voisins, les Francophones répondent par les envolées lyriques ou un humour décalé. Pas par des arguments scientifiques, et très peu par un projet politique structuré. Parmi les blagues qui circulent en Wallonie, il en est une qui situe assez justement, et sans élégance, l’estime que se portent les communautés :
Un jeune Flamand va se marier, alors son père lui fait la leçon :" N'oublie jamais que tu es Flamand, alors pour rentrer dans l'église, tu passes le premier, à 5 mètres devant tout le monde, car le Flamand est fier !Après la cérémonie et le repas, tu prends ta fiancée dans tes bras et tu la portes majestueusement jusqu'au lit nuptial, car le Flamand est fort ! Ensuite tu te mets tout nu et tu te places devant ta femme, car le Flamand est beau ! Et pour le reste, tu fais ce que tu as à faire... "Le lendemain du mariage, le jeune flamand fait le récit à son père:"Comme tu l'as dit, Père, je suis rentré le premier dans l'église, car le Flamand est fier ! J'ai porté ma femme jusqu'à la couche nuptiale, car le Flamand est fort!Je me suis mis tout nu devant elle, car le Flamand est beau !""Et ensuite "? demande le père."He bien, je me suis masturbé, car le Flamand est indépendant."

un libéralisme...unitaire?
Le Wallon fait de l’humour. Mais il est fauché. Et apparemment il ne peut pas trop compter sur ses politiciens pour résoudre la crise. Ce ne sont pas les manifestations bon enfant, les pétitions unitaires qui changeront les données du problème. Les Flamands, très majoritairement conservateurs, ont les atouts en main et ils jouent pour gagner. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ce soit du côté de Liège, l’ancienne capitale de la métallurgie wallonne, qu’ils trouvent l’allié dont ils ont besoin pour dédramatiser la situation et « normaliser » le débat. L’allié pourrait s’appeler Didier Reynders, le chef de file des libéraux. Ce brillant économiste, ministre des finances dans l’actuel gouvernement, envisagerait sérieusement l'idée d'une réforme de l'Etat qui pourrait comprendre des avancées pour les régions en matière d'emploi et de fiscalité. C’est exactement ce que les dirigeants flamands exigent, des avancées qui réduiront la solidarité fédérale. La « coalition de l’orange bleue » qui réunirait principalement les libéraux et les démocrates chrétiens, s’entendrait sur les options conservatrices de gouvernement. De quoi inquiéter la gauche en détresse et impuissante: le Parti communiste, par exemple, soutient une initiative lancée par des syndicalistes affirmant refuser que le « principe de solidarité soit remplacé par la concurrence et l’égoïsme… ». Face à l’agressivité et l’esprit de décision des partis flamands, cette bonne volonté ne fait guère le poids. Il est vrai que la hargne politique d’Yves Leterme, le possible futur premier ministre, repose sur 800.000 voix de préférence aux dernières élections.
Si rien ne change, le conflit linguistique belge ressemblera de plus en plus à la fable de la Fontaine du « pot de terre contre le pot de fer ». La morale de la fable n’était guère rassurante. Le pot de terre vola en éclat.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007

jeudi 15 novembre 2007

Rappel: l’Etat de Palestine attend son tour…

George W. Bush réunit le 26 novembre, à Annapolis, près de Washington, les dirigeants israéliens, palestiniens et peut-être syriens pour tenter d’imposer la « pax americana » dont il rêve.
Il en parle généreusement, le président Bush, de cet Etat palestinien qu’il appelle désormais de ses vœux. Il en parle même presqu’au présent, puisqu’il espère contribuer à sa création avant la fin de son mandat, dans un an. La rencontre d’Annapolis inaugure cette dernière phase de l’agenda moyen oriental présidentiel dont l’Histoire ne retiendra que les choix dramatiques, les politiques belliqueuses, les stratégies aventuristes et les tentations arrogantes et guerrières. A moins qu’un semblant de solution dans l’emblématique conflit israélo-arabe ne lui sauve la mise et ne relativise injustement les drames irakiens ou afghans et la déstabilisation générale de toute une région de la Méditerranée au Pakistan.
« Cette occasion historique ne doit pas devenir un échec historique » prévenait en début de semaine à Ankara, le président israélien Shimon Peres ; le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, également présent dans la capitale turque, saluait : « une occasion exceptionnelle qui doit être saisie ». L’ambition de bien faire est affirmée. Elle l’était déjà, il y a sept ans, à Camp David, quand Yasser Arafat rencontra Ehud Barak, sous la houlette de Bill Clinton, pour constater que l’avenir d’une Palestine viable ne répondait pas aux critères militaro-sécuritaires israéliens. Et, sans douter de sa ténacité, force est de reconnaître que Mahmoud Abbas n’est pas de la même trempe que son prédécesseur, dont les Palestiniens célèbrent le troisième anniversaire de la mort.
Entre Camp David et Annapolis, le Hamas aura pris le contrôle de Gaza, le Fatah aura perdu sa majorité politique au profit des islamistes, l’Autorité Palestinienne affaiblie par la déstructuration de son administration, par la corruption, par l’étranglement économique et les actions militaires israéliens, se sera maintenue presqu’artificiellement. Dans l’ombre de la mémoire d’Arafat, en attendant des jours meilleurs. Bousculé par les intégristes religieux et l’extrême droite, le gouvernement israélien est dirigé par l’homme le plus impopulaire du pays, soupçonné de tous les maux, même par la justice. L’aventure militaire au Liban en 2006 a démontré son incompétence, l’armée doute de ses politiques et les politiques doutent désormais de leurs généraux.
Les hommes qui se rencontreront pour envisager la création d’un état palestinien sont faibles, prêts, on peut le craindre, à négocier, le dos au mur, pourvu que personne ne s’en retourne bredouille.
Cela explique sans doute les nouvelles exigences qui voient le jour à la veille de la conférence. Ehud Olmert veut que tout futur Etat palestinien « reconnaisse Israël comme l’Etat des juifs ». Il ne s’agirait donc pas de la reconnaissance d’un état par un autre. Cette revendication ethnico-religieuse, qui défie les lois et le fondement des relations internationales, pose très concrètement le problème essentiel du droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948 et 1967, pierre d’achoppement de toute négociation entre les deux parties. Un dirigeant de l’OLP, Yasser Abed Rabbo s’essayait à l’humour pour réagir: « seul un parti sioniste considère Israël comme un état juif et nous ne demandons pas à être un membre du mouvement sioniste mondial ». Les Israéliens tentent d’imposer leur règle aux Palestiniens : « mon prix sera le tien ». Le Parlement israélien vient de passer, en première lecture, une loi prévoyant que les évolutions touchant le statut de Jérusalem nécessitent 80 voix de majorité au lieu de 61. En d’autres, termes, compte tenu du poids de la droite et des religieux, aucun règlement sur la redivision de Jérusalem en deux capitales n’est politiquement acceptable par la Knesset.
Les négociations préparatoires du sommet d’Annapolis sont dans l’impasse sur bien des points. Les Palestiniens sont condamnés à négocier où, quand et comment les Américains le souhaitent. En guise d’épée de Damoclès, la Syrie pourrait leur voler la vedette en trouvant un terrain d’entente avec les Israéliens pour le plus grand bonheur de Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat de George W.Bush. Les Israéliens ont très envie de négocier avec Damas. On parle déjà d’une conférence d’Annapolis II.
A Annopolis I, fin novembre, Les Palestiniens voudraient négocier un début de solution au problème des réfugiés palestiniens de 1948 et de 1967, un début de solution pour Jérusalem et sa redivision éventuelle et problématique, les frontières du futur Etat palestinien, et surtout la question de l’avenir des colonies juives dans les territoires occupés. « Ils voudraient », c’est un conditionnel. Leur réalisme et leur pragmatisme semblent insupportables aux champions de la « paix anti terroriste mondiale ».
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007