jeudi 29 novembre 2007

La Russie en partis pris

«Quiconque ne regrette pas l’Union Soviétique n’a pas de cœur. Quiconque regrette l’Union Soviétique est un idiot». Le président russe Vladimir Poutine est philosophe à l’occasion. Il dit aussi : « la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique de l’Histoire ». Le président Poutine est Pragmatique en permanence. Anticommuniste proclamé (« les idées communistes sont un cafard idéologique »), l’ancien général du KGB, rend volontiers hommage, dans le désordre, à Staline, à ses victimes, au Tsar de toutes les Russies, à la puissance russe d’antan et à celle du futur, au capitalisme et à l’influence de l’Etat sur les affaires. Il ne se plie à aucune logique qui nous est familière, parce que la Russie qu’il gouverne, avec une efficacité telle que la popularité dont il jouit n’est même pas surprenante, ne répond à aucune norme démocratique occidentale.

Poutine craint la solitude à la Douma
Il n’est pas raisonnable de s’aventurer dans les méandres de la politique, des affaires, des luttes de clans russes sans un guide chevronné. Gauchebdo a demandé à Jean Marie Chauvier, journaliste, écrivain, collaborateur au Monde Diplomatique, ancien correspondant du quotidien communiste belge « Le drapeau Rouge » et de la RTBF à Moscou pendant de longues années, de défricher la réalité russe à la veille des élections législatives du 2 décembre et à l’avant-veille des élections présidentielles du 2 mars 2008. La seule question qui se pose avant les législatives, est déjà affolante : « le seul enjeu, le seul risque que pourrait courir le parti de Vladimir Poutine serait de se retrouver seul à la Douma, explique Jean Marie Chauvier. Que les autres partis n’obtiennent pas le quorum pour disposer d’élus c’est improbable, mais pas impossible. En principe le Parti communiste devrait entrer à la Douma. Pour les autres, c’est moins sûr. Les partis libéraux et de droite, dont on parle tant dans les médias occidentaux, ne pèsent pas lourds en réalité. Et pas seulement, parce qu’ils ne disposent pas de la communication et sont empêchés de défendre leurs vues sur les principales chaînes de télévision. Si le parti de Poutine, « Russie Unie » occupait toute la Douma, le Parlement russe, Poutine ferait face à un casse-tête : il n’a aucune intention de promouvoir un parti unique ni de ridiculiser la nouvelle démocratie russe. Respectueux de la Constitution, il n’a pas, ou pas encore, cherché à contourner la limite des deux mandats présidentiels. Donc il ne sera pas, en principe parce que nous parlons de la Russie, candidat à un troisième mandat en mars prochain. Ses préoccupations sont bien plus complexes, très pragmatiques. Néanmoins, « Russie unie » détiendra vraisemblablement plus de deux-tiers des sièges pour la prochaine législature. S’il le décide, Poutine sera premier ministre. Et quand il le voudra, il sera le seul vrai patron du pays. »

Kasparov financé par les Américains
On se demande d’ailleurs si la campagne n’est pas plus active vue de l’extérieur que de l’intérieur du pays. Après tout, les déboires du champion d’échec Kasparov, emprisonné pour cinq jours, ont surtout fait la « une » des médias occidentaux : « Kasparov et son parti un peu « fourre-tout » font de la provocation, faute de disposer d’autres moyens de communication. Autour de Kasparov, s’agglomèrent des libéraux, un parti national bolchévique, des militants d’extrême gauche. Cela inspire d’autant moins confiance aux Russes, surtout soucieux de stabilité, que « l’Autre Russie », comme d’autres forces politiques, est financée par des fondations américaines. Ce n’est même pas un secret de polichinelle, ces fondations, en toute transparence, indiquent ce « détail » sur leurs sites. Mais ce n’est pas l’accès limité ou inexistant aux médias qui handicape le plus ces partis, c’est leur histoire et la responsabilité de leurs dirigeants dans le crash financier de 1998. A l’époque, La tendance était à l’américanophilie et aux excès de l’oligarchie « eltsinienne ». Les Russes sont patriotes. Ils veulent des solutions à la russe, comme Vladimir Poutine les prônent. Ils préfèrent à un capitalisme sauvage, une société libérale dont les grandes structures industrielles et énergétiques restent sous la surveillance de l’Etat. Les néolibéraux russes s’étaient laissés tentés par une occidentalisation de l’économie.

Résistances associatives et locales
La situation est intenable pour ces petits partis qui doivent faire face au conglomérat de « Russie Unie », la machine politique de Poutine : l’Union des Forces de Droite, le parti Yabloko centriste, l’ « Autre Russie » de Kasparov, s’opposent à la politique gouvernementale en matière de logement (le projet d’élever le prix les loyers, du gaz, de l’électricité au prix du marché étranglerait une partie importante de la population), du fonctionnement de la démocratie... comme la Parti communiste. Ils tentent de s’impliquer dans les nombreux mouvements sociaux pour exister politiquement. Mais la résistance à Poutine se développe au sein de milliers de petites organisations et associations, dans les quartiers, les cités avec un leitmotiv : le refus des réformes libérales. »
Jean Marie Chauvier stigmatise la médiatisation par les Occidentaux des organisations marginales en Russie et le traitement à la fois hostile et limité de la complexité du « monde poutinien »: « La popularité de Poutine répond aux réalités du pays et de la population. Les Russes cherchent à se rassurer. Ils ont besoin d’un père en quelque sorte, ils veulent un « monarque » capable de refigurer dans des contextes nouveaux des traditions anciennes. Poutine leur propose des méthodes modernes et néoconservatrices à la fois. Il prône une voie et une voix russes sans copier celles des autres, une voie singulière, mais dans le cadre de la globalisation. Ce sont des propositions que les Russes ne veulent pas refuser. « Russie Unie », le parti de Poutine, se situe au centre-droit, en faveur d’un libéralisme économique et du capitalisme. C’est en quelque sorte un parti « protecteur » comme il est de tradition en Russie : l’administration aujourd’hui est plus lourde, plus énorme que du temps de l’Union soviétique. »

La renaissance de la puissance russe
Il existerait donc bien une voie russe vers le « libéralisme à responsabilités limitées ». Parce que Monsieur Poutine joue aussi les funambules entre les sphères d’influence, les clans qui forment sa « famille » : « « Russie Unie » est un conglomérat formé après 1999, explique encore le journaliste belge. Ce sont les oligarques qui ont choisi Poutine, Berezovski, l’homme d’Eltsine, (aujourd’hui réfugié en Angleterre) précisément. Autour de Poutine, le chef de guerre qui a mené le second conflit tchétchène, se retrouveront différentes personnalités, des partis, des élites. L’idée était de fonder un parti sans idéologie ni programme, mais avec un chef. Un parti russe. Un parti dominant pour longtemps. Un parti dont l’objectif affirmé est la renaissance de la puissance russe. Vladimir Poutine pèse du poids de ses ambitions pour le pays. Il a surfé sur la vague antilibérale des années 2000 pour atteindre son objectif : reprendre en main les secteurs énergétiques. Il s’est débarrassé des oligarques, ceux-là mêmes qui lui avaient mis le pied à l’étrier. D’une manière ou d’une autre – la Russie n’est pas à proprement parlé un état de droit – il a placé des hommes de confiance dans des structures à capitaux mixtes ou publics. Il favorise un capitalisme dirigé plutôt qu’un dirigisme économique. Les Russes approuvent : selon les sondages, ils disent massivement oui au marché, oui aux PME privées mais oui aussi… à la renationalisation des grandes industries. »

Poutine se méfie de ses amis
Rien ne s’oppose donc à ce que le « Président Poutine », même s’il se faisait désormais connaître sous le titre de « premier ministre Poutine » domine la situation et le pays : « Il jongle réellement entre différentes écoles. Par exemple, il existe un fonds de stabilisation économique issu des ressources pétrolières. Plus de 100 milliards de dollars. Le clan Poutine, ses proches venus de Saint Petersburg au Kremlin, souhaitent développer une politique industrielle publique avec la relance de la métallurgie, des industries de la défense, la promotion des nouvelles technologies, l’enseignement, la santé etc.… Au sein du gouvernement russe, le ministre des finances, Ivanov, promeut l’idée de maintenir ce fonds pour les lendemains qui déchantent. »
Là est le vrai combat politique de Poutine : maintenir l’équilibre entre ses amis. Jean Marie Chauvier explique aussi que les fonds russes en dehors de Russie s’élèvent à mille milliards de dollars, que l’équilibre géopolitique mondial se joue aux frontière de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques courtisées par les Américains, que se dessine une alliance entre la Russie, l’Inde et la Chine…
La Russie serait-elle en des mains rassurantes pour ses peuples… par défaut ? Il n’y aurait pas d’alternative… Et le monde n’a pas les moyens de se fâcher avec le maître du…Kremlin. C’est bien connu.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007