jeudi 22 novembre 2007

Suisse-Europe : l’Internationale "brun clair" existe…

Il nous est parfois fait grief, même chez nos amis politiques, de dénoncer le fascisme de l’UDC. Certains puristes de la science politique s’inquiètent de la banalisation du terme, d’autres, pragmatiques, estiment que le parti blochérien, aussi insupportable puisse-t-il être, ne s’inscrit pas dans la ligne de Mussolini, Franco, Salazar ou des ligues françaises de l’entre-deux guerres, par exemple. Tout au plus, reprocheraient-ils à l’UDC d’avoir accordé l’asile à quelques anciens militants nazillons, un adepte de la secte Moon en rédemption, quelques racistes déclarés, deux ou trois négationnistes de la Shoah… Mais ils persistent à considérer qu’un parti qui admet les principes et les règles de la démocratie n’est pas un parti fasciste. Ne prenons pas acte de cette dernière affirmation sans rappeler que la démocratie fut toujours, à un moment ou l’autre de l’Histoire, l’otage, puis la victime du fascisme, précisément.

La Société du Mont Pélerin
Le débat existe en fait. Considérer l’UDC comme fasciste est facile et pratique, mais pas efficace. Plus prosaïquement, ce n’est pas dans le passé nauséabond qu’il convient de chercher son « fonds » idéologique. L’UDC répond aux critères modernes de l’ultralibéralisme. Elle est en Suisse l’avant-garde du mouvement pour la déstructuration sociale. Elle se nourrit des réflexions et des travaux des penseurs les plus réactionnaires, souvent les plus brillants aussi, qui cogitent, entre autres think tanks et fondations, au sein de la Société du Mont Pèlerin, près de Montreux. Ce rassemblement d’experts de haut niveau (huit prix Nobel d’économie y ont adhérés) défend pour l’essentiel une vision libérale radicale. Ses membres envisagent le danger du « plus d’Etat », de « Etat-Providence », du « pouvoir des syndicats »… des « entreprises monopolistiques » et « la menace de l’inflation ».

Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la Bourse
Cela nous éloigne évidemment de Zottel, la chèvre- peluche « made in China », propagandiste en chef de la campagne blochérienne contre les immigrés, pour une Suisse aux Suisse, contre l’Etat social et responsable de ses citoyens les plus fragiles, pour une sécurisation de la société…
Peut-être moins qu’il n’y paraît. Christophe Blocher et ses idées… « révolutionnaires » séduisent les électeurs autour d’un thème central, pratiquement un non-dit : « citoyen, occupes-toi de toi-même, protège tes intérêts, ton terroir. Tu es ton propre avenir ». En d’autres termes, « ne laisse pas la communauté se soucier de toi ». Le message des grosses têtes pensantes de l’économie libérale ne dit rien d’autre. Moins d’Etat, c’est plus de pouvoir à la bourse et à l’entrepreneur. Au capitalisme pur et dur.

Des dirigeants « propres sur eux »
Et l’UDC n’est qu’un bataillon parmi d’autres en Europe. L’extrême droite en Flandre, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, en Autriche, s’est transformée en des partis habiles dont les dirigeants sont « propres sur eux », symboles de réussites sociales personnelles, étrangers, autant que possible, aux événements funestes de l’Histoire du XXème siècle. La droite dure, on dit déjà moins « l’extrême droite » et pratiquement plus « les fascistes », est totalement décomplexée face à une gauche sans ressort. Sa mission, qu’elle mène à bien, consiste à entraîner les autres forces libérales vers un projet sociétal totalement individualisé. Et privatisé. Dans ces petits pays riches, le citoyen peut à la fois s’affirmer dans sa spécificité locale et admettre l’évidence de la mondialisation économique. Les économistes et les politologues de droite qui ont pensé à ce détail sont des génies.

Pas fasciste. Mais…
Dans ces pays où la droite dure est potentiellement ou pratiquement
un partenaire acceptable pour les autres forces politiques, la pensée
ultralibérale et réactionnaire fait son chemin. Elle devient
incontournable.
En France, un pays important où la stratégie des « petits et riches » ne fonctionne pas, Nicolas Sarkozy a embrassé quelques idées maîtresses de Jean Marie Le Pen. En Flandre, les partis catholiques et libéraux ont été élus sur un programme populiste et conservateur. Les Danois retrouveront l’extrême droite au gouvernement. La politique batave en matière d’immigration renie des siècles d’ouverture…
L’internationale « brun clair » existe. Elle n’est donc pas fasciste. Mais il sera difficile de ne pas lui trouver des « marques de fabrique » dont les Européens se seraient bien passés : populiste, xénophobe, raciste, antisociale, autoritariste, chauvine, nationaliste, régionaliste, ultralibérale…
Craignons le pire avec ces partis qui ne sont pas fascistes.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007