jeudi 29 novembre 2007

Suisse: A Genève, le mépris de gauche

Les fonctionnaires de la ville de Genève réclament leur du. Le conseil administratif (la mairie), majoritairement de gauche se laisse tirer l’oreille… Et les travailleurs de constater que le mépris n’est pas le triste privilège des patrons de droite.

Très courtois, le porte-parole de la camarade Salerno, la conseillère administrative socialiste chargée des finances à la ville de Genève. Courtois et efficace : « le Conseil administratif ne communique pas sur le problème posé par les fonctionnaires municipaux. Les négociations sont en cours. » Et d’ajouter : « on en parle tous les jours dans les médias, de cette affaire ».Oui mais non ! « On » en parle justement assez peu, dans les médias, des fonctionnaires municipaux genevois qui se demandent pourquoi quand « y a des sous, on reçoit rien de plus que quand y avait pas de sous ». Surtout, « on » ne les prend pas trop au sérieux. Ou pire, « on » les prend pour des fainéants privilégiés, des « je me la coule douce »… Les remarques acerbes, les phrases assassines pullulent pour dénoncer les agents du service public en général. C’est un sport dans un pays où, précisément, le service public fonctionne bien, au point d’intéresser le privé. Les projets d’externalisation de certains services que l’on prête au conseiller administratif radical Pierre Maudet, n’auraient pas de sens s’ils ne répondaient pas à une logique marchande. La confusion, installée entre la contestation de la qualité du travail des fonctionnaires et la logique libérale qui veut moins d’Etat au profit des entrepreneurs, fait son bonhomme de chemin. Il est plus facile, plus… communicant d’affirmer que le secteur privé coûte moins cher à la communauté, que le service public. Les fonctionnaires, par leur statut, seraient moins productifs. Haro donc sur les travailleurs du service public. L’argument connaît un succès retentissant. Il est erroné : le service public relève d’une logique incontournable: la communauté jouit d’une autonomie d’action, d’une indépendance parce que, précisément, les fonctionnaires ne dépendent pas d’une logique exclusivement financière. Aucune étude scientifique ne démontre qu’ils travaillent plus mal que d’autres, que leurs avantages sociaux ou leurs revenus ne coïncident pas, peu ou prou, avec ceux des autres salariés du pays. Comme par hasard, les services sociaux fatalement déficitaires n’intéressent pas les entrepreneurs. La récolte des amendes de circulation, oui.

Les fonctionnaires municipaux genevois rencontrés, n’en veulent pas à Pierre Maudet d’être lui-même : un adepte de l’économie de marché, un libéral pur sucre. Ils se montrent plus circonspects à l’égard des autres élus, des autres patrons de la ville de Genève : le vert Mugny, les socialistes Tornare et Salerno. Et même l’élu d’A Gauche Toute !, Remy Pagani. Pourtant ce dernier, fait ce qu’il peut. D’après certaines informations concordantes, il freine autant que possible, les pulsions purement gestionnaires des trois autres élus de gauche. Et le groupe municipal « A Gauche toute ! », menace de ne pas voter le budget si les revendications, jugées au minimum légitimes, des travailleurs ne sont pas rencontrées: ils réclament la reprise des mécanismes salariaux, la participation à l'assurance maladie et la redistribution d'une prime au personnel en rapport avec les comptes 2007. La ville de Genève réalise un excédent de plus de 47 millions de francs. Beaucoup plus selon certaine sources. Une manne… Rien pour les fonctionnaires qui depuis trois ans sont privés d’annuités statutaires parce que le budget était déficitaire. Pendant ce temps, au Locle, le budget modestement bénéficiaire profite aussi aux employés municipaux dont les revenus augmentent de 1%. C’est une question de culture politique sans doute, pas une question comptable. Au Locle, la gauche est de gauche. A Genève, la gauche est… de Genève.
Outre l’aspect purement financier, extrêmement important pour les bas salaires, la tension qui règne en ville de Genève est paraît-il palpable, selon la syndicaliste du SIT, Valérie Buchs : « il n’y a plus d’embauche et les prestations sont plus importantes. Les gens travaillent plus ». « Nous sommes exaspérés, explique un membre du « comité de grève » qui prépare l’arrêt de travail du 4 décembre. Salerno mène une politique antisociale. Nous ne demandons que le respect des statuts. N’importe qui, dans n’importe quelle profession, s’énerverait si une convention collective était bafouée. Sincèrement, nous ressentons du mépris de la part du Conseil administratif, et on ne peut pas s’empêcher de se dire que les patrons de gauche peuvent être pires que ceux de droite. Les pressions sur les travailleurs pour qu’ils ne débraient pas le 4 décembre sont nombreuses. Et ce n’est pas par hasard si je vous demande de ne pas citer mon nom ou ma fonction dans le journal. »… La colère des fonctionnaires, ce ne serait donc pas uniquement une histoire de sous…
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Novembre 2007