vendredi 7 décembre 2007

Russie: Ruspoutine plébiscité

Le Parti communiste est l’unique garant du fonctionnement
parlementaire russe.

Ne gâchons pas notre plaisir, et répétons cette phrase avec adresse : le Parti communiste est l’unique garant du fonctionnement parlementaire russe. Il est le seul des trois partis accédant à la Douma pour se partager les 135 sièges que n’a pas emportés « Russie Unie » (64,1% et 315 élus), lors des élections législatives de la semaine dernière, qui ait, un temps soit peu, la volonté de revendiquer une… gestion moins affairiste du pays. « Russie Juste » (7,8% et 38 élus), une succursale du parti présidentiel, officiellement de gauche, conçue pour affaiblir les communistes, n’a aucune intention de faire montre d’un quelconque esprit frondeur à l’égard du pouvoir. Quant au « parti démocrate-libéral » (8,2% et 40 élus), la boutique du fasciste, antisémite, xénophobe, raciste, ultralibéral Vladimir Jirinovski, ses velléités oppositionnelles se situent surtout en termes de surenchères ultranationalistes. Reste donc le parti communiste de la Fédération de Russie qui, avec 11,6% et 57 sièges, constituera effectivement la seule opposition parlementaire digne de ce nom.
Les autres partis réalisent des scores confidentiels ou presque. Ce sera dans la rue, et dans la mesure du possible, que les opposants à la politique de Vladimir Poutine devront faire valoir leurs arguments…

Nazarbaïev et Sarkozy dans le fan club
Officiellement, Le président Poutine fait la fine bouche. Il espérait un plébiscite à la hauteur de sa popularité, autour de 70%. Il n’espérait, par contre, vraisemblablement pas recevoir les congratulations des dirigeants démocrates occidentaux. Comme l’indiquait, dans une dépêche, même pas amusée, l’agence de presse Novosti : « les présidents kazhak et français Noursoultan Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy ont félicité, des bons résultats obtenus aux élections à la Douma, Vladimir Poutine… ». Les autres montrèrent moins d’empressement. Il est vrai que Nicolas Sarkozy aurait, dans une autre vie, fidèle à sa logique de Président-représentant de commerce, serré Raspoutine dans ses bras, par pragmatisme commercial. C’est donc un moindre mal, aujourd’hui, de féliciter « RusPoutine » dont la stratégie internationale dépend souvent des réalités boursières, du cours du baril de brut ou du gaz. Quant au président Nazarbaïev, ce sont sans doute les scores presque parfaits de « Russie Unie » en Tchétchénie et Ingouchie (plus de 98%) qui l’ont le plus ému.

Les observateurs internationaux estiment que les élections n’ont pas été exemplaires. Pas plus que la campagne d’ailleurs… Ce côté « vierge effarouchée » que se donnent les bonnes consciences occidentales étonne toujours. Personne n’ignore les « particularités » de la démocratie russe. Tous les experts s’entendent pour les expliquer, les comprendre, les condamner. Personne ne remet en question le statut de Vladimir Poutine, partenaire, fournisseur, client, chef d’Etat… camarade de jeu au sein du G8. « Vladimir Poutine dirige le Russie comme une grande compagnie ». C’est Alexandre Konolov, un politologue, président de l’Institut moscovite des évaluations stratégiques qui le dit. De là à envisager que les « petits actionnaires » de l’entreprise Russie, ont voté, le 2 décembre, pour renouveler le conseil d’administration…

Le «poutinisme» comme l’église et la vodka ?
Vladimir Poutine prépare autant son avenir personnel que celui du conglomérat qu’il dirige. Son problème n’est pas la politique. Son problème est le pouvoir. Le conserver nécessite de maintenir les « petits porteurs » dans un état de confiance tel qu’ils accepteraient à court terme des changements constitutionnels favorisant l’ «installation » du poutinisme parmi les « évidences » russes, aux côtés de l’Eglise orthodoxe, de la vodka, et d’un libéralisme sauvage qui laisse rêveur et fait rêver les citoyens. D’ailleurs, la constitution russe n’est pas hostile à un troisième mandat du président en exercice. C’est un troisième mandat consécutif qui pose problème. Il suffirait, constatent les analystes, de trouver un…intérimaire pour le scrutin du 2 mars prochain. « Qui tomberait rapidement malade, au point de se retirer des affaires et provoquer des élections anticipées, disent quelques mauvaises langues moscovites. ». C’est une solution pour assurer un long règne, un très long règne au Président. Dans l’état actuel des structures bureaucratiques et oligarchiques, il pourrait être président de la Douma, premier ministre, président de Gazprom, la méga entreprise énergétique. L’important étant que la Russie bouge à son rythme. En contrepartie, le gouvernement resterait peu attentif au développement de l’économie parallèle, celle de tous les jours, à la portée de « Monsieur Tout le Monde » qui échappe au système ou au fisc. Cette « autre économie » qui intéresse peu les géants de l’économie mondiale qui entourent l’ancien officier du KGB et ses amis technocrates. Les Russes ont confirmé l’essentiel le 2 décembre : ils veulent un pouvoir qui les rassure à l’intérieur et des dirigeants qui montrent les dents au nom d’une Russie belle et grande… Le civisme n’est pas encore une vertu indispensable… Chaque chose en son temps, sans doute.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Décembre 2007