vendredi 4 mai 2007

Pologne:Maccarthisme et crétinisme d’Etat

Crypto fascisme : l’anticommunisme en guise de cache sexe

Aleksandra est cadre dans une entreprise américaine de travail intérimaire à Cracovie dans le sud de la Pologne. Comme nombre de ses compatriotes, la jeune femme, diplômée en Sciences politiques, islamologue, spécialiste de la Turquie, a pris un second travail d’appoint : elle est journaliste dans un quotidien provincial. Elle n’y traite pas de sujets stratégiques particuliers. Dernièrement, elle s’était attachée à décrire les talents d’un groupe de dentellières qui brodent des dessous féminins pour les plus belles boutiques ouest-européennes. " La dentelle est une tradition dans certains villages, explique la journaliste à temps partiel, mais plus personne ne veut de draps de lit brodés et même les robes de baptêmes ne rapportent plus de quoi nourrir les quelques dizaines de femmes qui perpétuent cet art raffiné. Quelques unes envisagèrent d’autres créneaux. Les dessous féminins sont les plus porteurs, et le top du top, c’est le string. Les dentellières revivent de leur savoir-faire. Et les curés des villages les soutiennent. La question s’était posée parce qu’elles sont toutes extrêmement croyantes et respectueuses de l’Eglise catholique." Aleksandra n’est pas de gauche, elle vote pour les libéraux. Catholique pratiquante, elle est aussi européenne…pratiquante tant elle croit en une Pologne vivifiée au sein de l’Union. Et c’est là que le bât blesse. Elle ne reconnaît plus sa Pologne : " Je n’envisage pas de quitter le payer comme tant de millions de mes compatriotes le font, parce que ma mère y vit encore. C’est l’unique raison. Pour le reste, je suis consciente de vivre dans un pays dirigé par des fous, mais plus grave, ces fous mettent en place une société rétrograde et dangereuse qui perdurera après les prochaines élections. Je suis née en 1967, je suis donc soumise, puisque je suis collaboratrice d’un journal, à cette loi de " lustration " qui m’impose de déclarer si j’ai été ou non une informatrice de la police secrète pendant l’ère communiste. Les gens nés avant 1972 occupant des fonctions dans 52 professions doivent se plier à cette règle imbécile, les universitaires, les journalistes, les archivistes, les policiers, les fonctionnaires, des avocats, des magistrats, les hommes d’affaires… C’est une loi scélérate parce qu’elle crée le doute entre les gens, elle ouvre des horizons aux ambitieux qui soupçonnent leurs aînés d’avoir été des agents de la police secrète… L’Eglise, à son plus haut niveau, a été touchée par cette réglementation. Le pire en fait, c’est que beaucoup de Polonais, trop de Polonais, s’adaptent à la situation, admettent ce régime absurde moraliste et moralisateur où la délation et le mépris sont les attributs du pouvoir. "
Les frères Kaczynski, président et premier ministre, fignolent une théorie politique étonnante : l’anticommunisme de droit divin. Au nom de la Pologne catholique, ils rêvent de corriger plus de quarante ans d’histoire de leur pays sans trop se soucier des siècles où il plia sous le joug de tous les dictateurs possibles et imaginables. Et pour cause, la Pologne immortelle de leurs fantasmes repose sur les dogmes les plus éculés imposés par le clergé le plus réactionnaire. L’anticommunisme est le cache sexe d’un projet de société qui ferait d’un membre de l’Union européenne, un exemple d’état crypto fasciste. La Pologne rêvée des frères Kaczynski, aurait l’odeur d’une démocratie, la couleur d’une démocratie, le goût d’une démocratie, mais assoirait les normes d’un pays moralement et mentalement fascisant. Les tentatives de durcir la loi sur l’interdiction de l’avortement, les discours officiels ou tolérés, antisémites, homophobes, xénophobes, les imprécations anti européennes, d’autant plus mal venues que la Pologne perçoit de l’Union 75 milliards d’Euros en dix ans, la tentation, si ce n’est militariste, en tout cas " militarisante " pro américaine et anti russe… les démonstrations de l’instauration d’un régime politique particulier ne manquent pas. L’opposition existe, à gauche, à droite, dans les médias ou dans l’église, mais cette phase de maccarthysme, la tétanise. Les victimes du système se multiplient, vilipendées par une presse odieuse. Le Père Tadeusz Rydzyk, le patron de Radio Marija, la station accusatrice et délatrice par excellence, serait traîné devant les tribunaux de n’importe quel pays ouest européen. En Pologne, il est considéré comme un homme d’influence un peu excessif… Les dirigeants des médias audiovisuels publics sont à la botte du régime…
La coalition gouvernementale de Jarozlaw Kaczynski qui réunit les extrémistes de la " Ligue des Familles " et d’ " Autodéfense " autour du Parti " Droit et Justice " joue les vierges effarouchées et dans un élan paranoïaque qui laisse perplexe certains de ses amis américains affirme qu’il existe une " conspiration " qui maintiendrait la Pologne sous le contrôle des ex communistes, des collaborateurs de l’ancien régime, des libéraux laïcs, des hommes d’affaires et des Russes ".
En attendant, en dix-huit mois, quatre ministres des finances, deux ministres des Affaires Etrangères, deux ministres de la Défense et deux Premiers ministres se sont succédés pour parer à l’essentiel : maintenir une image crédible de la Pologne à l’étranger. Dans les couloirs de l’Union européenne, parmi les mots qui fâchent, il y a le mot Pologne. A entendre les Polonais s’inquiéter de leur sort, c’est la moindre des choses.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, mai 2007