jeudi 27 septembre 2007

Edition suisse: une biographie de Léon Nicole


Suisse : Il fallait « tuer le père » du PdT

Si je devais résumer l’histoire et l’épopée de Léon Nicole à des adolescents plus ou moins attardés, en mal de héros suisse, je dirais : « Léon Nicole c’était le mec plus ultra de la classe ouvrière ». Il fut honni par les bourgeois agacés de trouver à qui parler en des temps où les pauvres ne se révoltaient que pour survivre; haï par les fascistes qui, sans des hommes tels que lui, auraient trouvé le terreau helvétique plus malléable pour gagner à leurs idées nauséabondes des bien-pensants intrigués par Mussolini ou Hitler; rejeté par les socio démocrates trop enclins à la collaboration de classes avec les conservateurs dans l’espoir de partager le pouvoir. Et quand il fit le plein de ses ennemis de droite, Léon Nicole s’offrit aussi une dose d’inimitié parmi ses amis de gauche. Parce que ce héros de la classe ouvrière était aussi l’anti héros de ses propres rêves.
André Rauber a écrit cette biographie de Léon Nicole avec le souci de faire œuvre d’historien. Rigoureusement, les faits défilent, l’auteur s’est évertué à conserver, autant que faire se peut, une distance avec les événements comme s’il craignait qu’une évaluation trop personnelle ne nuise à la vérité. Ce n’est pas un livre objectif. C’est un livre honnête. Rauber ne fait pas dans la littérature, il ne s’émancipe pas de sa fonction de chercheur et de découvreur d’information. Il raconte Léon Nicole, il rapporte les éléments qui concrétisent l’histoire. Et les faits se suffisent à eux-mêmes. Sauf qu’il ne raconte pas seulement la vie d’un personnage hors du commun dont on a parfois du mal à apprécier toute la grandeur et plus de mal encore à comprendre les petitesses. Il fut donc un géant, lui qui était plutôt petit de taille. Et il influença deux générations de progressistes. C’est aussi de cela dont il est question dans le livre de Rauber : deux générations de femmes et d’hommes qui ont du, à un moment ou à un autre, se déterminer par rapport à Léon, au patron, au chef du gouvernement genevois, au stalinien obtus… Les dirigeants communistes, au sein du Parti du Travail, ont écrit avec un sang froid remarquable et un sens de l’histoire incontestable, le dernier chapitre de la vie politique de Léon Nicole. Ils l’ont exclu, en pleine guerre froide, pour ne pas le suivre dans une dérive stalinienne suicidaire et pour maintenir le Parti dans la communauté nationale attachée à la politique de neutralité. Ils ont du « tuer le père ». André Rauber décrit dans les deux derniers chapitres du livre huit ans d’Histoire partisane, dans le détail. Huit ans, pas plus, qui se lisent comme un roman politique. Et de choisir une citation de Primo Levi pour conclure, dont je ne retiendrai qu’une phrase : « Puisqu’il est difficile de distinguer les vrais prophètes des faux, méfions-nous de tous les prophètes » (Si c’est un homme)

Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Septembre 2007