mardi 30 octobre 2007

Suisse: La gauche condamnée à exister

Tout est dit sur la défaite électorale des gauches, la victoire de la droite musclée, le tassement des conservateurs de toutes obédiences.Les médias du monde découvrent une Suisse encline à se vautrer dans la fange réactionnaire. Les neiges éternelles des sommets alpins seraient plus grises que blanches. Pourtant, s’il est vrai que Blocher a fait fureur le 21 octobre, les Suisses n’ont été que fidèles à eux-mêmes : résolument conservateurs. 70 % des électeurs n’ont pas voté à gauche. Comme d’habitude. La «ratatinade» de la petite gauche, nommons-la ainsi le temps qu’elle se remette de ses émotions, n’est qu’un épiphénomène qui s’inscrit parfaitement dans l’espace politique européen. L’ennui est que la pensée et l’idéologie de l’extrême droite pénètrent les esprits plus profondément encore que les résultats électoraux ne le laissent supposer, dans toutes les couchesde la population. Il est prévisible, désormais, que le raisonnement politique ne repose plus sur la recherche d’un consensus social quelconque. La grille de lecture de la vie politique se lira de droite à l’extrême droite et l’ultra-libéralisme fera office de mètre étalon de la pensée. La Suisse sera le laboratoire européen de l’Etat-au-service-de-la-finance-et-des-entrepreneurs. Dans ce laboratoire, les citoyens seront les cobayes.
Les gauches ont joué les seconds couteaux. Concurrents, socialistes et Verts ont cherché à se rendre crédibles… vus de droite. Les écologistes étaient meilleurs dans cet exercice et les électeurs socialistes ont peu apprécié l’encanaillement de leurs politiciens. Dans les cantons francophones où elle influence encore un tant soit peu la vie publique, la gauche de la gauche n’a pas inventé le fil à couper le beurre. L’honorable prestation du POPsol à Neuchâtel n’efface pas les résultats médiocres à Genève et dans le canton deVaud, ni les difficultés relationnelles entre les formations progressistes. La gauche combative a trop tendance à jouer les DonQuichotte dans un monde où les moulins à vent sont les immeubles sécurisés des entreprises du Swiss Market Index. Elle est condamnée à rejeter les règles du jeu imposées, sans coup férir par la droite, à présenter son propre agenda, à imposer le terrain d’action. Les grèves des ouvriers du bâtiment démontrent que les travailleurs ne restent pas inertes devant l’arrogance patronale.
Pour exister, la gauche doit, au moins, ne pas être l’ombre d’elle-même.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, Octobre 2007