mardi 30 octobre 2007

Suisse: Révolution culturelle à la tessinoise ?

La section tessinoise du Parti Suisse du Travail a changé de nom sans demander l’avis des camarades des autres cantons. Il existe donc, désormais, un Parti communiste, section tessinoise du PST. Dans l’enthousiasme local et sous le regard désapprobateur mais résigné de la direction nationale du Parti.

Partout en Europe, les partis communistes réfléchissent à une évolution nominale sinon idéologique. Le PC Italien s’est scindé et sa majorité fait un curieux, et parfois douloureux, « coming out » social démocrate, emportant avec elle les bijoux de famille, tel que le quotidien historique du Parti, « l’Unita ». Deux partis, Rifondazione Comunista et le parti des Communistes italiens se partagent l’électorat ébranlé et réduit, ouvertement marxiste. Le PDS allemand, allié à d’autres forces de gauche non communiste au sein d’une nouvelle organisation, die Linke, tente de redynamiser la frange progressiste de la population tandis qu’un minuscule Parti communiste allemand réunit quelques adversaires de la fusion. Le PC espagnol anime la coalition « Gauche Unie » avec des écologistes et des mouvements associatifs...
Seul, souvent comme un bateau ivre, le PC Français sauvegarde son identité et conserve à la fois une image et une spécificité. Mais le quotidien communiste « l’Humanité », depuis longtemps, n’arbore plus le marteau et la faucille et les tentatives, très souvent malheureuses, d’alliances et de d’union de la gauche sont nombreuses. Presque partout donc, y compris dans les pays où les partis communistes n’ont pas ou plus joué un rôle prépondérant dans la vie politique, l’identité des communistes s’implique dans un projet progressiste, au nom de l’efficacité, quand ce n’est pas au nom de la vision prosaïque selon laquelle le marxisme, même revu et corrigé, mérite de survivre au poids de l’Histoire.

Pendant que les partis communistes se cherchent ou trouvent des portes de sortie plus ou moins honorables, la section tessinoise du PST redessine le mot communiste en guise de signature. Le poids de l’Histoire serait moins lourd que l’avenir possible du socialisme, disent en substance les Jeunes Progressistes, à l’origine de la démarche : « Pourquoi ne pas être ce que l’on prétend si souvent, un parti communiste, explique Leonardo Schmid, l’un des animateurs de la section tessinoise. Un parti qui puisse travailler en s’appuyant sur des théories claires et adaptées. Nous ne sommes ni des nostalgiques ni des conservateurs de gauche. Je comprends les doutes de ceux qui, par rapport à l’histoire du socialisme réel, ne se reconnaissent pas comme communistes. Nous savons ce qu’a été le socialisme réel, ses fautes, ses erreurs. Mais l’avenir ne repose pas sur le socialisme réel de l’Union Soviétique. Notre génération aspire à un communisme aguerri. Nous cherchons une voie pour arriver à une société nouvelle. Nous revendiquons une société différente. Dépasser le capitalisme n’est pas suffisant. »
Le changement de nom ne fut néanmoins pas unanimement apprécié. Norberto Crivelli, le dirigeant « historique » du Parti tessinois, mit ses camarades en garde contre toute forme de précipitation, rappelant l’importance et le caractère rassembleur du Parti du Travail.
Dans une contribution sévère au congrès extraordinaire, Norberto Crivelli fit appel au sens des réalités des Jeunes Progressistes, à la solidarité nécessaire au sein du PST, et à sa crainte d’assister à une tentative de scission d’un groupe de militants. Rien n’y fit, les délégués tessinois votèrent le changement à une forte majorité. « On en avait besoin, affirme Leonardo Schmid. Nous ne sommes pas le petit frère, un peu malade, du PS, comme l’écrivent certains responsables du parti. Nous ne voulons pas tirer le PS à gauche, ce n’est pas l’objectif. On a fait notre révolution culturelle. Nous voulons un parti qui crée son propre discours politique, qui conserve son identité et qui ne se laisse pas mener par le discours de la droite. Quant au nom, celui du Parti du Travail n’interpelle pas les gens dans le Tessin. Le mot « travail » pose problème. Nous sommes communistes. Disons-le. Je ne vois par ailleurs pas où est le problème pour le parti suisse. Nous restons tous militants du PST. Mais la vérité est que le Parti ne nous a pas apporté les réponses aux questions que nous posons. Les formations sont inexistantes. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Mais en attendant, des dizaines de jeunes militants nous ont rejoints. On ne va quand même pas attendre que la direction nationale s’aperçoive de notre existence. Nous sommes un petit parti, notre situation est très différente que dans les autres sections cantonales au passé plus glorieux. Dès que nous avons annoncé le changement de nom… il faut bien reconnaître que nous avons existé aux yeux des dirigeants de partout. Josef Zisyadis nous a envoyé un mail pour contester notre décision. D’autres aussi s’expriment. Ce pourrait être un point de départ intéressant pour le parti. Ce n’est pas un parti très uni. Un débat de fond lancé depuis le Tessin, ce serait nouveau. »
Un débat ? « absolument, dit Josef Zisyadis, le dirigeant vaudois. Ce changement de nom est un choix politique inadapté et dangereux qui remet en question le fondement du Parti du Travail. Nulle part dans nos statuts n’apparaît le mot communiste, précisément parce que trois sensibilités politiques en sont à l’origine. Qui plus est, ces statuts ont évolué et des termes comme « dictature du prolétariat » ou « centralisme démocratique » en ont été retirés. Je suis favorable à un débat national parce que d’importantes questions de notre Histoire doivent d’être traitées. »
A Genève, René Ecuyer, qualifie le choix tessinois « d’erreur ». « Changer de nom ne clarifie rien. On en revient à la fameuse phrase : « l’étiquette ne fait pas le contenu ». Cela me rappelle le cas du mouvement des jeunes du PST, la Jeunesse Libre qui se transforma en 1973 en Jeunesse communiste. Sans grand succès… » L’ancien Conseiller national Jean Spielmann semble moins concerné et moins alarmé: « ce n’est pas un handicap particulier pour le parti ».
La contribution de Norberto Crivelli exprimait des craintes de scission et interrogeait la finalité de la démarche des Jeunes Progressistes. Si Leonardo Schmid confirme la totale adhésion de la section au PST, il reste que la visite de militants tessinois aux communistes genevois, des formations au marxisme, à Genève, structurées par des formateurs proches du PTB, un parti communiste issu de la mouvance maoïste, des liens avec le Parti des Communistes italiens, adversaire de Rifondazione, ont de quoi laisser perplexe. « Le PST n’assure aucune formation. Aucune, rien, nada. Nous sommes deux à avoir assisté à des formations organisées par Chemarx, à Genève. Et oui, l’organisation du PTB nous semble une bonne base pour nous structurer. Nous sommes plus proches du PdCI que de Refondazione parce que nous croyons plus en la modernité du premier qu’au conservatisme du second. Au congrès du parti, j’ai dit qu’il fallait créer un nouveau parti communiste en Suisse, avec une organisation nouvelle. On ne peut pas me reprocher d’être logique. Il est tout aussi logique de chercher à se former. A défaut d’une formation de qualité du PST, nous allons là où ou nous trouvons la qualité. Que chacun prenne ses responsabilités dans ce domaine. »
« Surtout pas de vague, rétorque Nelly Buntschu, la présidente du PST. Nous prenons acte de la décision des Tessinois. Cela ne veut pas dire que nous l’apprécions. Mon leitmotiv, je ne m’en cache pas, c’est : pas de scission ! »
« Les Jeunes Progressistes ne sont pas marqués par la guerre froide, analyse Anoushka Weil, dirigeante du PST. Ils ne sont pas non plus liés à la tradition de notre parti. Ils nous offrent l’occasion d’un débat dont il ne faut en aucun cas faire l’impasse. Leur notion du communisme est différente. Ils ont ma sympathie, mais, leur décision n’est peut-être pas la meilleure des idées pour le moment.
Ron Linder, Gauchebdo, Suisse, novembre 2007