lundi 19 février 2007

France: Ségo-Sarko ce n’est pas «blanc bonnet et bonnet blanc»

Ce n’est peut-être pas le débat gauche-droite qui prévaudra finalement pour désigner le prochain président de la République française. Les candidats qui se réclament hauts et forts d’une idéologie ou d’un projet politique sans ambiguïté éprouvent bien des difficultés à être entendus et sont rapidement marginalisés quand ils ne sont pas considérés comme des «ringards». Ceux qui se réclament de tout et de rien, de la «France entière», qui, au nom du «pragmatisme», du «réalisme», de la «modernité», de la «fracture» proposent aux Français de repenser le pays du bas en haut, de le faire reluire comme un sou neuf, ceux-là ratissent large, tellement large que les citoyens sont en droit de se demander comment il leur a été possible de vivre dans cette République sous d’autres présidences. Il y aurait la France d’avant le débat Ségo-Sarko et la France d’après le débat Ségo-Sarko.
La gauche est laminée. Par ses divisions certes, mais aussi parce que les Français pourraient bien décider de choisir un président par défaut: ils voteraient moins à gauche ou à droite qu’ils ne voteraient contre Nicolas Sarkozy ou contre Ségolène Royal. Elire un ou une présidente de la République parce qu’il ou elle est moins antipathique que son adversaire, ce serait effectivement une autre façon de faire de la politique. Et en France, comme ailleurs, on ne prête qu’aux riches. En l’occurrence l’avantage ira au moins maladroit, au plus photogénique, le plus médiatique mais sans doute et surtout au mieux disant… le temps de la campagne.
Ségolène Royal a présenté dimanche 100 propositions dans un pacte présidentiel qui situe désormais son engagement. Adepte de la démocratie participative elle a, en quelque sorte, fait le compte-rendu des opinions des citoyens. Des opinions et des craintes: «Ces cris de détresse silencieuse, ces pauvres vies brisées, ces familles humiliées, ravagées par la misère et l’injustice, ces destins marqués au sceau d’une malédiction qui ne dit pas son nom, c’est tout cela que j’ai à l’esprit, là, à l’instant de m’adresser à vous, et c’est cela qui me donne le désir de me battre, de vaincre et de proposer cette politique d’alternance qui seule sera capable de surmonter les crises: crise des banlieues, dans les quartiers le feu couve sous la cendre, crise économique avec les emplois qui se détruisent, crise sociale, crise éducative, crise morale, crise écologique, crise internationale, enfin, sur fond de prolifération nucléaire, de montée des fanatismes et des hystéries guerrières. Pour surmonter ces crises, il faut une nouvelle politique, pour surmonter ces crises, il faut une France neuve. Voilà ce que vous m’avez dit et voilà ce que j’entends mettre en œuvre avec vous». Les propositions vont avec le message : le SMIC à 1500 euros «le plus tôt possible dans la législature», augmentation de 5% des petites retraites et des allocations aux personnes handicapées, doublement de l’allocation de rentrée scolaire, réduction des coûts bancaires, une sécurité de logement tout au long de la vie, création de 120’000 logements sociaux par an, lutte contre la violence faite aux femmes. Il y a matière à prendre en considération l’ambition de la candidate socialiste.
Mais s’il faut en croire les sondages concordants diffusés dans les jours qui ont suivi le discours très médiatisé de Ségolène Royal, les électeurs n’auraient pas été impressionnés. Est-ce parce qu’elle traitait de l’essentiel et parlait politique? Ses adversaires se sont précipités sur leurs calculettes pour évaluer le coût de ses promesses: 30 ou 35 milliards d’euros. Trop cher, décrétèrent-ils tout de go, la France n’a pas les moyens de cette politique-là! Et de crier au loup, à l’augmentation des impôts, au surendettement du pays… Les propositions de Nicolas Sarkozy diluées dans ses nombreux discours coûteraient, dit-on, aussi cher mais sa méthode serait différente: «privilégier l’emploi et améliorer le pouvoir d’achat des salariés, voilà notre philosophie», explique Pierre Méhaignerie, le «Monsieur Finances publiques» du président de l’UMP… Personne sans doute n’y avait jamais pensé… Et c’est Sarko qui rassure le plus, disent les sondeurs…
L’argent des riches…
La France n’est pas fauchée. Elle a les moyens de ses priorités. Selon le quotidien l’Humanité, le profit des sociétés du CAC 40 (les plus grosses entreprises cotées en bourse) a été de 51 milliards d’euros au premier semestre 2006, les aides publiques aux entreprises en 2005 s’élevaient à 65 milliards d’euros, l’évaluation des exonérations de cotisations patronales en 2006 avoisinerait 23,6 milliards d’euros, les intérêts financiers et les dividendes versés en 2005 sont de 224 milliards d’euros… Et le groupe Total a annoncé un profit supérieur à douze milliards, que d’aucuns qualifient d’ «indécent». Ségolène Royal et la gauche suggèrent, raisonnablement, que les surprofits pétroliers soient taxés. A cette idée, les patrons et la droite attrapent des boutons de fièvre… On situe mieux les priorités des uns et des autres soudainement.
Ron Linder
Gauchebdo, Suisse, Février 2007