lundi 19 février 2007

Palestine: à qui profite le crime?

Le Hamas et le Fatah n’en finissent plus d’appeler au calme. Sans succès. Ils sont pourtant condamnés à partager le pouvoir. Il n’y a pas d’alternative.
Dans les territoires sous autorité palestinienne, environ 700'000 personnes dépendent peu ou prou des salaires versés par le gouvernement: parmi les 170'000 fonctionnaires, 70'000 policiers et assimilés, 40'000 enseignants et près de 10'000 membres de services de santé se partagent le triste privilège d’être payés au… lance-pierre, quand les autorités le peuvent, quand Israël libère une partie des taxes qui reviennent de droit à la Palestine, quand l’aide étrangère, arabe, musulmane, européenne ou américaine, passe, au compte-goutte, de promesse à réalité, quand certaines banques internationales acceptent d’assurer les transferts. La pression ou l’étouffement économiques sont des armes efficaces. Ils rendent la Palestine ingérable donc, dans l’absolu, dans les faits et dans le quotidien, improbable. Ils créent aussi les conditions du pire. Le Hamas et le Fatah, forts de leur légitimités spécifiques, législative et activiste pour le premier, historique et institutionnelle pour le second, se disputent une vision de la Palestine plus encore que le pouvoir immédiat pour lequel ils sont condamnés à s’entendre au nom du réalisme le plus élémentaire. Le président Mahmoud Abbas et le Fatah défendent, en priorité, l’idée de la création d’un Etat palestinien, fruit de négociations territoriales et structurelles directes avec Israël, et soutenue par la communauté internationale. Le Hamas semble moins pressé de voir naître un Etat sur une portion congrue de la Palestine historique. La stratégie de l’organisation islamique serait intégrée à une géopolitique plus large, dont les enjeux engloberaient le sort du Liban et les positionnements de la Syrie et de l’Iran. Les analystes ne s’y trompent pas: l’ancien secrétaire d’Etat américain de George Bush père, James Baker, qui témoignait devant la commission des affaires étrangères du Sénat, mardi dernier, affirmait que si l’administration Bush (fils) dialoguait avec la Syrie, le Hamas pourrait reconnaître Israël et ainsi s’associer au Fatah dans le dialogue israélo-palestinien.
Cessez-le-feu multiples et inefficaces
Le Hamas veut occuper le terrain. A Gaza d’abord, qui est son bastion principal. En réduisant la présence militaire du Fatah dans les faubourgs de Gaza, le président Abbas affaiblirait son potentiel auprès de ses interlocuteurs. Au point d’ailleurs que les Américains envisagent sérieusement d’armer les troupes fidèles au Fatah, entre autres de véhicules blindés légers, au grand dam des militaires israéliens. Les combats de ces derniers jours, qui ont fait 34 morts (plus de soixante en deux mois), risquent de ne pas être les derniers. Les belligérants répondent toujours positivement aux efforts de pacification de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, mais personne n’accorde crédit aux appels de cessez-le-feu, qui n’ont que le mérite de durer un petit peu. Pourtant, la guerre civile n’est au programme ni à Gaza ni en Cisjordanie. Les combats restent circonscrits dans certains quartiers autour de la ville de Gaza. Les batailles de rue sont purement stratégiques. Cela n’empêche pas les Palestiniens de s’interroger. Leur vie quotidienne est plus compliquée que jamais, l’arrogance des Israéliens rend l’option des négociations défendue par Mahmoud Abbas peu attirante, les Américains les prennent pour des terroristes, les Européens ne sont pas à la hauteur.
Une solution islamique?
Il y a quelques mois, Ghassan Khatib, membre du Parti du peuple (ex-communiste) et ancien ministre, disait au Monde diplomatique: «Les gens à l’étranger ne comprennent pas combien est forte ici l’opposition aux Etats-Unis… Le Hamas sortira grandi pour avoir été puni par l’occident. Il gagnera en force et en légitimité, il sera le seul gagnant… Arafat a mis vingt ans pour faire des concessions et l’on ne donne aucun délai au Hamas.» Une opinion partagée par le pacifiste israélien Uri Avneri, qui explique à qui veut l’entendre que le Hamas dispose des moyens religieux pour parvenir à négocier avec Israël. L’islam autorise la hudna, une sorte de cessez-le-feu. Uri Avneri, qui fut le premier Israélien à rencontrer des dirigeants palestiniens, affirme que rien n’empêcherait de signer une hudna, un accord temporaire pour cent ou… cinq mille ans. Au Proche-Orient, même l’improbable est possible. Donc cette Palestine improbable est bien possible. Le tout, comme toujours, est de savoir à quel prix.
Ron Linder
Gauchebdo, Suisse, Février 2007