lundi 19 février 2007

La Turquie ne va pas bien

En année électorale, le seul pays musulman laïc est tiraillé par ses extrêmes.
Le gouvernement d’Ankara annule une rencontre au plus haut niveau avec l’Union européenne. Parce qu’il n’est pas de bon ton de parler de l’Europe en année électorale. L’Europe n’est plus la priorité des Turcs. Lassés, frustrés, parfois humiliés par les interminables négociations pour l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, les Turcs ont tendance à considérer que point trop n’en faut, et qu’à force de se l’entendre dire, d’accord, la Turquie est asiatique… De cette Asie qui gagne.
Abdulah Gül, le ministre des Affaires étrangères, ne se précipite pas pour rencontrer ses interlocuteurs à Bruxelles. A l’instar du premier ministre Recep Tayyp Erdogan, il veut éviter d’être associé au thème impopulaire par excellence auprès de son électorat traditionnellement islamisant. Il ne souhaite sans doute pas non plus être la cible des médias occidentaux sur les questions qui fâchent: la liberté d’expression, la question du génocide arménien, la sécurité publique en Turquie.
L’assassinat du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, le 21 janvier, puis l’apparent exil du prix Nobel de littérature Ohran Pamuk, le 1er février, ne sont que les éléments visibles d’une situation plus que tendue qui touche les intellectuels progressistes ou laïcs depuis des années, sans que les autorités n’y trouvent la moindre parade. Et pour cause, affirment les observateurs, la police et d’autres institutions gouvernementales sont infiltrées par des éléments fascistes ou ultranationalistes. La photo diffusée par la presse, montrant le meurtrier de Hrant Dink arborant un drapeau turc dans le commissariat de police où il était détenu, n’a laissé personne indifférent.
Vague de désanchantement
Vue d’Europe, la Turquie ne va pas bien. Le seul pays musulman laïc n’éradique pas ses vieux démons. L’ultranationalisme, le fascisme des Loups gris sont renforcés par un intégrisme religieux très installé. Le journal Le Monde rapportait l’histoire de ce prédicateur dont la maison d’édition diffuse avec succès un «atlas de la création» dont la version française aurait été tirée à 10’000 exemplaires, qui prône, à l’instar des intégristes chrétiens, le créationnisme contre la théorie de l’évolution de Darwin. Une anecdote? Pas vraiment… La promotion du panturquisme, la nostalgie de l’Empire ottoman, le nationalisme, le rigorisme religieux, la condamnation du «génocide tchétchène», la négation du génocide arménien, les attaques contre les «Kurdes darwiniens»… font bon ménage. De nombreux Turcs trouvent dans ce fouillis d’idées plus ou moins développées mais toujours diffusées à grande échelle, matière à nourrir leurs désenchantements.
Un journaliste turc disait au lendemain du meurtre de Hrant Dink: «de deux choses l’une, le meurtrier est membre d’une organisation extrémiste… et nous pouvons espérer lutter contre un ennemi définissable; ou il est un jeune isolé, issu de la Turquie profonde. Dans ce cas, c’est nous-mêmes que nous devrions combattre.»
DRr
Gauchebdo, suisse, février 2007