dimanche 18 février 2007

Téhéran joue l’Islam contre le Monde

Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad est infréquentable. Aux oreilles de la plupart des Occidentaux, mais aussi de certains dirigeants arabes, africains ou asiatiques son discours est belliqueux, antisémite, arrogant et annonciateur de lendemains qui déchantent pour le Moyen Orient ou le Monde. L’anti-américanisme est une tradition en Iran depuis 1979, une sorte de fond de commerce à destination de la population frustrée de progrès socio-économiques maintes fois annoncés et promis depuis l’avènement de la République Islamique, mais Ahmadinejad est le héraut d’un Iran vindicatif et menaçant près à en découdre, directement ou non, avec le champion non moins belliqueux d’un Occident soucieux de préserver ses prés carrés, le Président étasunien George W. Bush. Avec cette dangereuse particularité : les deux hommes s’affrontent au nom de convictions philosophiques et religieuses qui font de l’ombre aux arguments stratégiques, politiques, économiques généralement suffisants pour prévoir ou expliquer les tensions et les conflits. Le physicien et activiste belge Jean Bricmont rappelait dans le « Monde Diplomatique » d’août 2006 que la philosophie « scientifique » ou « matérialiste » qui avait contribué à équilibrer les rapports de force jusqu’à la chute de l’Union Soviétique avait disparu au profit d’une « attitude religieuse » qui consiste « dans le discours de George W.Bush, à voir le Mal et le Bien existant « en soi », c'est-à-dire indépendamment des circonstances historiques données. Les « méchants » sont des diables qui sortent d’une boîte, des effets sans cause. Pour combattre le Mal, une seule solution : mobiliser le Bien, l’armer, le sortir de sa léthargie, le lancer à l’assaut. C’est la philosophie de la bonne conscience perpétuelle et de la guerre sans fin ».
Mahmoud Ahmadinejad ne serait-il que le pendant oriental de George Bush ?
Il prétend à une reconnaissance internationale, une juste place pour son pays, puissance régionale et énergétique, dans le concert des nations. Surtout, il revendique sans ambiguïté la primauté politique de l’Iran dans le monde arabo musulman. Il affirme la victoire d’une idéologie panislamique. Ahmadinejad n’est pas à son poste par hasard. Ses attaques contre Israël, ses délires négationnistes –d’ailleurs repris par ses meilleurs collaborateurs- servent à appâter la « masse » arabe délaissée ou abandonnée par ses dirigeants. La cause palestinienne est, à défaut de tout autre thème, le dénominateur commun des Arabes et des Musulmans. Le nationalisme arabe a échoué, ce serait au tour de l’Iran, un pays non arabe, de proposer un « monde commun » face à l’agression de l’Occident. Quoi de plus légitime alors que de confirmer ce « leadership » en développant un potentiel nucléaire ? Le Pakistan voisin, l’ennemi israélien, les Russes disposent d’un arsenal nucléaire, l’Irak et l’Afghanistan ne se remettent pas des interventions américaines. L’Iran doit, dans l’esprit et la pensée des Mollahs tenir son rang. C’est une question de survie pour le régime, pour son ambition de peser, un jour, du poids de tout l’Islam face au reste du Monde. Pour que le monde sunnite, majoritaire dans l’Islam, se tourne vers Téhéran… Ce n’est pas un délire mégalomaniaque. Les conditions sont potentiellement réunies. Le moment est propice : à Washington, « l’homme le plus puissant du monde » n’est pas un négociateur.

Rien ne va en Iran, le chômage est endémique, les libertés individuelles sont plus que limitées, la liberté de la presse réduite, les droits de la femmes sujets à un droit coranique très conservateur… Le président Ahmadinejad s’était fait élire en promettant « de faire revenir l’argent du pétrole sur la table de tous les Iraniens ». Il ne tiendra pas parole. Pas plus qu’il ne serait, selon les experts, en mesure de tenter de détruire ou même d’ébranler Israël à court ou moyen terme. Les opposants iraniens en exil crient au loup, ils estiment que les Occidentaux ne prennent pas la mesure du danger que la république islamique fait peser. Ils se veulent alarmistes comme le sont les néoconservateurs américains ou quelques intellectuels européens. D’autres sont alarmés, parce qu’informés des ambitions du régime de Téhéran, mais regardent vers Washington et espèrent que le successeur de George Bush sera, comme l’était Bill Clinton, un négociateur.
L’Iran n’a pas peur. L’Iran fait peur. Mahmoud Ahmadinejad se satisfait déjà de ce résultat.
Ron Linder
Gauchebdo, Suisse, novembre 2006